Mercredi
et Dimanche
haut de page
RETOUR
A DANIEL ALLAERT
Tel était le déroulement d’une journée ordinaire.
Deux jours de la semaine subissaient des modifications le mercredi et le
dimanche.
Le mercredi nous n’avions aucune heure de classe. Les
deux heures du matin étaient remplacées par un exercice redoutable la
composition. Au début du trimestre rédaction, orthographe et analyse,
version latine, version grecque... deuxième partie du trimestre, les
compositions de mémoire histoire et géographie, littérature et pour
finir le trimestre la composition d’instruction religieuse.
Évidemment les sentiments des élèves à l’égard de cet exercice
variaient suivant les aptitudes de chacun et l’attrait ou la répulsion
pour la matière.
A 10 h. 1/2, récréation comme à l’ordinaire, puis étude libre c’est—à—dire que nous n avions pas de devoir et que nous pouvions faire ce que nous voulions écrire une lettre, recouvrir un livre, ranger son casier, s’occuper de sa collection de timbres, si l’on était collectionneur, lire "Cœur Vaillant" ou une revue recommandée par l’autorité.
L’après-midi, après la récréation d’une heure, nous montions au dortoir pour prendre la casquette d’uniforme marquée aux lettres du séminaire S. F. A. , le capuchon ou le manteau, en vue de la promenade.
Chaque division était partagée en deux groupes. Nous nous mettions en rang par trois, non suivant notre fantaisie ou nos affinités, mais selon la place qui nous avait été assignée au début du trimestre. C’est ainsi que mon ami Michel et moi fîmes connaissance, avons lié amitié et, par la suite, avons continué à nous retrouver malgré les vicissitudes de la vie.
De temps à autre, mais très rarement (deux ou trois fois par an), à l’occasion d’une fête rangs libres mais toujours par trois. Vers deux heures, lentement les cohortes aux bas noirs bien tirés (eh oui ! nous portions des bas noirs) s’ébranlaient dans des directions diverses suivant le bon plaisir du surveillant de promenade.
Comme pour les surveillances de récréations et de dortoir, c’était toujours parmi les plus jeunes professeurs que ceux-ci étaient choisis. Il y avait les promenades ordinaires, monotones Wallon-Cappel, Hondeghem, Morbecque, Borre. Il y en avait de plus intéressantes, exemple celle de la route de Merville qui nous menait jusqu’à l’orée du bois de Nieppe à proximité de la Motte-au-Bois. Il y avait, par dessus tout, la promenade au bois des Huit - rues situé à 3 ou 4 kilomètres d’Hazebrouck.
Cet itinéraire était rare et nous ne pouvions l’espérer que de quelques professeurs vraiment complaisants tel le père Van Esland ou quelquefois le père Depecker. Pendant ces deux heures, deux heures et demie de promenade où nous parcourions de dix à douze kilomètres, nous bavardions discutant de tout et de rien des classes, des professeurs, des petites incartades des uns et des autres, de la composition du matin, mais de nos familles, pour ainsi dire jamais. Pourquoi ? Je l’ignore, par manque de personnalité, peut-être nous étions là au petit Séminaire dans un "moule" dont nous ne sortions pas.
Ces promenades se faisaient par n’importe quel temps gelée, pluie, neige, peu importe, toujours la promenade avait lieu; en huit années de pension, je n’ai pas connu une seule exception. Évidemment il arrivait parfois que nous rentrions trempés jusqu’aux os, dégoulinants de pluie. Dans ce cas, le surveillant nous emmenait jusqu’au dortoir où nous avions la liberté de nous essuyer et de changer de vêtements.
Quoiqu’il en fût, après le goûter et la récréation, nous avions l’étude du soir comme les autres jours, non pas tout à fait. Tous les mercredis de cinq à six heures, il y avait les séances de douches, une semaine la grande division, la semaine suivante, la petite, donc nous avions "douche" tous les quinze jours, ensuite de 6 h à 7 h 1/2 lecture obligatoire, ce qui voulait dire que nous étions obligés de lire un livre de la bibliothèque de notre division à moins d’avoir eu un livre prêté par un professeur, en général le directeur de conscience. Ce livre devait obligatoirement être signé par le professeur en question et la signature montrée à toute réquisition. Vous me direz Voilà une heure, une heure et demie bien agréable. Oui, cela eût pu l’être, mais les livres fournis par la bibliothèque étaient si insipides que je n’ai conservé aucun souvenir de ces lectures.
J’ai dit précédemment que tous les quinze jours, nous avions les douches. Se laver, se débarbouiller, se frotter, se savonner, se décrasser voilà une opération excellente qui vous fait du bien. Exact. Seulement il y a les conditions, l’environnement et là tout est gâché, je parle surtout de l’époque où j’étais encore en petite division avec le père Leblond. L’ensemble de la division était réparti par groupes de douze puisque, je crois, il y avait douze cabines. La première qualité, qualité suprême, pour l’élève qui entrait dans le domaine des douches c’était d’être très rapide, très agile sinon la situation tournait vite au cauchemar. 1er temps se déshabiller, ne gardant sur soi que la culotte ; dans le couloir où se passait cette séance, il y avait déjà les vêtements de ceux du groupe précédent et qui eux étaient dans les cabines obéissant aux coups de sifflet commandant les manœuvres.
Quand vous aviez réussi à trouver une place pour déposer vos vêtements, sans risquer de les mélanger à ceux d’un autre condisciple, vous vous mettiez en rang dans le couloir sur une file non loin du domestique qui ouvrait et fermait les vannes car, dans les cabines, il n’y avait que des pommes d’arrosoir fixées à deux mètres de hauteur et pas de robinet. Les dernières opérations du groupe précédent s’achevant, Mr Leblond les priait de sortir. Déjà là pouvait surgir un problème ; certains étaient lents, vraiment lents. Quand notre surveillant nous donnait l’ordre d’avancer, la cabine n’était pas toujours libre ; vous attendiez fébrile et anxieux, tandis que les autres avaient déjà enlevé ce qui leur restait sur le corps.
Vous pénétriez dans la cabine devenue libre. Un second rideau la divisait en deux parties. Dans la première partie, vous accrochiez le reste des vêtements ; un coup de sifflet, les douches se mettaient à fonctionner. En principe, vous deviez vous trouver sous la douche pour être bien arrosé, mais peu souvent la température de l’eau était supportable ou elle était trop froide ou trop chaude. Deuxième coup de sifflet arrêt de l’arrosage ; vous deviez vous savonner copieusement tout le corps ; troisième coup de sifflet l’arrosage se remettait en route pour vous rincer dernier coup de sifflet le rinçage était terminé ; vous deviez vous essuyer avec votre serviette déjà bien moite dans cette atmosphère pleine de vapeur et vous rhabiller au plus vite pour ne pas gêner le groupe suivant qui déjà assiégeait l’entrée des cabines.
Tout aurait dû se passer normalement suivant ce programme. Mais que votre prédécesseur ait tardé à sortir et alors vous n’étiez pas encore complètement déshabillé quand la douche se mettait à fonctionner de même pour l’opération rinçage que l’eau fût tout à coup froide ou brûlante et vous voilà mal rincé ou pas rincé du tout. Aussi certains, pas tous, quelques uns, parfois, supprimaient le savonnage, pour gagner une étape et se contentaient de se savonner les mains et les pieds, et ainsi sauver les apparences car notre surveillant avait l’œil sur l’eau ruisselant des cabines.
Enfin je me souviens d’un jeune élève de 7ème complètement perturbé par toutes ces manœuvres. Pressé de sortir par des élèves énervés, il finit par bondir de la cabine, se sauvant tout nu dans le couloir, tandis que Mr Leblond horrifié l’appelait à mi-voix: Mon ami... mon ami... voyons.., voyons.., et l’enfant finit tout de même par trouver une cabine encore libre pour aller passer le slip et la culotte.
Malgré ces inconvénients dus à la vie de groupe et à une discipline trop stricte, j’ai conservé un bon souvenir de ces séances de douche, non de bien-être au moment même, c’eut été difficile, mais, a près, pendant l’heure de lecture obligatoire en étude. Le sang fouetté par ces manœuvres diverses, circulait, semble-t-il, mieux et je ressentais une impression de vigueur et de fraîcheur nouvelle.
Tel était le programme du mercredi pour une bonne partie de l’année. Il y avait pourtant une variante : les promenades étaient supprimées après les vacances de Pâques. Vers les cinq heures, toujours en rangs de promenade, on nous emmenait dans la campagne proche sur la route de Hondeghem, dans une pâture, propriété du petit Séminaire. Là des jeux étaient mis à notre disposition jusque 7 heures : pas de géant, jeux de boules, jeu de tonneau etc... les occupations que nous avions durant le reste de l’année entre 5 h et 7 h étaient reportées sur le début de l’après-midi.
Le dimanche était à la fois un jour comme les autres et pas comme les autres. Nous nous levions à la même heure que les autres jours et nous nous couchions à la même heure ; il y avait quand même des modifications. D’abord ce jour-là nous revêtions le costume du dimanche. Pourquoi, au fait ? il n’y avait aucune raison de le faire ; nous ne sortions pas du cadre du Séminaire. Récitation de la prière du matin en étude, puis étude de leçons pour la classe d’instruction religieuse de 8 h 1/2. La méditation était reportée juste avant la messe de 7 h 1/2 ; elle avait lieu à la chapelle pour les grands et les petits et toujours dirigée par Mr le Supérieur.
Petit détail : le dimanche matin aucun servant de messe n’était désigné par le directeur de division ; les professeurs appelaient pour leur messe un élève ou un autre, à leur gré ; en général l’un ou l’autre de leurs dirigés. Les autres jours les servants étaient nommés la veille au soir à la fin de l’étude. Ce service était considéré comme un honneur. Il fallait, pour entrer dans ce tour de rôle, avoir la note 6 partout aux notes de quinzaine. La note 6 était la note maximum. Il y avait les notes de discipline : chapelle, réfectoire, dortoir, étude ; les notes de travail, leçons, devoirs et dans les diverses matières français, mathématiques, latin, histoire etc... Ces notes n’étaient pas en relation directe avec les notes obtenues aux devoirs ou aux leçons. C’était pour le professeur la possibilité de manifester son mécontentement pour le travail ou la discipline de l’un ou l’autre élève. Ainsi un seul 5 en l’une ou l’autre rubrique vous éliminait pour quinze jours de ce tour de rôle de servant de messe. Ces notes étaient proclamées tous les quinze jours par Mr le Supérieur, le dimanche, une fois devant toute la division, la fois suivante dans chaque classe.
Mais revenons à notre dimanche matin et à notre étude de leçons. Vers 6 h 45, grands et petits, nous nous rendions à la chapelle pour la méditation. Assis dans la chaire de vérité, pendant dix à quinze minutes, lentement Mr Allaert évoquait une pensée, un personnage et peu à peu, touche après touche, comme un artiste peintre dessine un tableau, l’idée prenait de la force, le personnage devenait vivant. Exemple : la Toussaint. C’était d’abord l’évocation de tous les grands noms martyrs, confesseurs de la foi, grands fondateurs d’ordre religieux ; ensuite l’évocation se faisait plus intime, plus proche de nous. C’était les saints inconnus, ceux de nos familles qui menèrent une vie pauvre, obscure, sans éclat mais tout entière axée sur Dieu et le prochain et de nous dire "vous avez certainement connu dans votre famille ou dans votre entourage, une grand’mère qui passa une dure vie de labeur à élever ses enfants, un paysan, un artisan qui accomplissait sa besogne avec le plus grand soin. A ce moment là, les saints avaient perdu leur auréole, ils étaient près de nous et les derniers mots de Mr Allaert nous invitaient à les imiter.
Après la méditation, la messe du matin, le petit déjeuner, la récréation. Ensuite la classe d’instruction religieuse. A 9 h 1/2 récréation ; à 10 h grand messe avec diacre et sous diacre et tous les chants grégoriens de la messe du jour. A tour de rôle nos professeurs prononçaient le sermon ou homélie qui, à cette époque, était un véritable discours. Certains même conservaient la tradition de citer en commençant une phrase latine, tirée de l’Écriture Sainte, une sentence, sorte d’idée directrice du développement qui allait suivre, annonçant ensuite les trois points de l’homélie qui seraient développés. La communauté de nos professeurs siégeant dans les stalles du chœur, revêtus du surplis, attendait patiemment la fin de l’exorde pour se coiffer de la barrette.
Après la grand’messe, récréation et étude libre comme le mercredi. A vrai dire, cette étude avait une particularité agréable pour certains, beaucoup moins pour d’autres ; c’était pendant cette étude que Mr le Supérieur venait proclamer les places des dernières compositions. Dans un régime d’internat où tout est réglementé et prévu, où aucun écho des événements extérieurs ne nous parvient, ce quart d’heure avait une certaine saveur, un piment. Dans les moments qui précédaient la proclamation des places avec la notation sur 20, vous risquiez ‘in petto" des pronostics. Vous vous disiez j’ai bien réussi, j’aurai une bonne place, peut-être serai-je le premier ; dans le cas inverse vous redoutiez d’être relégué aux dernières places.
Quant aux notes de quinzaine, proclamées en étude une
fois sur deux, c’était souvent une litanie monotone de "6
partout".
Il y avait tout de même des variantes. Des garçons, de toute évidence,
étaient incapables de se plier à la discipline rigoureuse du petit
Séminaire ou de fournir des efforts dans le travail ils étaient peu
nombreux, il est vrai, et en général toujours les mêmes.
Quand Mr le Supérieur venait à prononcer tel ou tel nom, on sentait dans
la division l’attention redoubler. Il y avait parfois quelques secondes
de suspense. Que l’un ou l’autre ait réussi une collection de notes
assez fournie ou qu’une note particulièrement basse fût infligée, par
exemple un 3, alors le silence devenait absolu Mr le Supérieur s’arrêtait
quelques secondes, passait le revers de la main sur la page du cahier de
notes, cherchait des yeux le coupable, le priait de se lever. Jamais Mr
Allaert ne se mettait en colère, il avait un sens de la dignité très
élevé et rien ne le perturbait, mais rien que ce silence de quelques
secondes était impressionnant. Ensuite comme s’il s’adressait à tous
(mais l’élève debout savait à quoi s’en tenir) il avançait sur un
ton calme quelques sévères généralités, du genre suivant: Dans la
vie, il faut savoir ce que l’on veut, il faut savoir choisir ; les
paresseux, les insubordonnés n’ont pas leur place ici, etc... Je le
répète : des algarades de ce genre n’arrivaient qu’une ou deux fois
dans l’année le blâme public n’en était que plus impressionnant.
Le dimanche après-midi, nous avions promenade comme le
mercredi. A 17 h. étude de devoir (instruction religieuse).
A 17 h 30, chant des Vêpres et ensuite jusque 19h30
lecture obligatoire.
Certains dimanches d’hiver, cet horaire était modifié. Ce changement n’intervenait qu’assez rarement, disons cinq ou six fois en moyenne dans une année. C’était à l’occasion du passage d’un missionnaire ou d’un conférencier diocésain. Alors les Vêpres étaient chantées à 17 h et ensuite nous avions conférence avec projection de vues dans la salle du réfectoire.
Ces missionnaires à la barbe abondante avaient passé sept ou huit ans dans une mission Lointaine sans revenir au pays natal. Dans un premier temps, ils nous racontaient la longue traversée en mer pour rejoindre leur poste. En général ils embarquaient à Marseille saluant du regard Notre Dame de la Garde qui, peu à peu, disparaissait à leurs yeux, dernière image de la France qu’ils venaient de quitter. Ensuite ils nous racontaient le long apprentissage de la langue indigène, les mœurs et les coutumes de ces peuplades lointaines, les religions implantées dans ces pays, leur mode de vie et le travail apostolique qu’ils exerçaient.
Puis les lumières s’éteignaient et dans l’obscurité étaient projetées les images des paysages, des hommes, des femmes, des enfants de ces pays de missions. Nous avons vu au fil des ans, des missions en Afrique équatoriale, à Madagascar, aux Indes, en Chine et aussi dans le Grand Nord canadien chez les Esquimaux dans la région du grand lac de l’Esclave et même au cercle polaire au grand lac de l’Ours avec d’immenses étendues désertiques couvertes de neige où la température descend à –30° et –40°.
Je me souviens que ce dimanche d’hiver où nous eûmes cette conférence sur les Esquimaux, pendant la récréation qui suivit sous la clarté blafarde du grand projecteur, quelques flocons de neige tourbillonnant, chassés par les rafales d’un vent glacial, je frissonnais, sans doute la température n’était pas clémente mais je pense que les images du grand Nord canadien n’étaient pas étrangères à ce froid que je ressentais.
Ces conférences qui nous étaient données de temps à
autre, n’avaient pas pour seul but notre agrément ; elles avaient aussi
l’intention de susciter des vocations missionnaires et le père dans sa
conclusion, quand les lumières de la salle étaient à nouveau allumées,
ne manquait jamais de lancer un vibrant appel pour rejoindre un jour les
rangs de ces pionniers lointains.
Je ne sais pas l’effet que cela produisait sur mes
camarades. Les confidences étaient rares. Sans doute quelques uns
étaient touchés puisque plus tard des camarades s’en allèrent dans
ces pays de mission.
Pour moi, je l’avoue avec humilité, ces conférences avaient un effet inverse. Tout : les pays, les gens, leur façon de vivre, tout m’inspirait de la répulsion. J’étais plein d’une admiration respectueuse pour ces valeureux missionnaires... mais partir... non, moi qui supportais déjà si mal la vie de pension.
Ainsi se déroulaient les journées de pension au petit
Séminaire d’Hazebrouck dans les années 30. Cette vie d’enfants
cloîtrés paraît sûrement très rude à des enfants d’aujourd’hui
qui jouissent d’une éducation facile et libérale. C’était le
régime ordinaire à cette époque dans les collèges religieux. Pour
illustrer cette situation, voici relatée une journée de mars 1902, non
dans un séminaire niais dans un collège ordinaire.
Le hasard ou la chance si l’on veut m’a permis de
trouver dans un des livres transmis aux professeurs de génération en
génération (je fus de nombreuses années professeur de lettres à l’institution
St Jude à Armentières) une notice signalant aux élèves une
modification pour la journée du 19mars 1902 ;je la transcris
textuellement
AVIS
Mercredi 19 mars. Fête de St Joseph
Matin Messe de communion à 6 h 1/2 Les externes reviendront pour 8 h 1/2 Messe solennelle à 10heures avec sermon
par Mr Ibedden supérieur de St Jacques à Hazebrouck
Soir Congé
Les externes viendront pour 4 h 1/2
4 h 1/2 Séance académique et salut. Les élèves seront en uniforme toute la journée. Les parents sont invités à assister aux offices.
Jeudi 20 mars Règlement et classes du mercredi.
Nous sommes bien loin de notre époque
Au XIX ème siècle la vie de pension était assurément très dure. J’ai lu dans la vie d’Honoré de Balzac qu’à l’âge de 8 ans il fut mis en pension au collège de Vendôme, de 1807 à 1813, qu’il n’eut jamais de vacances, que sa mère ne vint le voir que deux fois et que ses parents ne se dérangeaient même pas pour la distribution des prix. J’admets que ce fut là un cas exceptionnel, mais il a existé.
J’ai le souvenir d’avoir passé une semaine de vacances en 1935 ou 36 dans la région de Valenciennes où j’avais un cousin de mon grand-père maternel, curé retraité puisqu’il avait 87 ans. Malgré son grand âge il était encore solide et parfaitement lucide. Il me racontait ses premières années de pension au petit Séminaire dans la région de Cambrai ; cela devait se passer vers 1858-60. L’abbé Cerf, ainsi se nommait le cousin de mon grand-père, était né à Neuf-Berquin dans une petite maison ouvrière en pleins champs. La gare la plus proche était La Gorgue-Estaires. Il me racontait son départ de la maison natale en compagnie de son père qui poussait une brouette où avait été placée la malle contenant tout l’attirail du jeune pensionnaire. C’était dans les derniers jours de septembre et je savais, me disait-il, que la séparation serait longue puisque je ne revenais le pays que dans les premiers jours du mois d’août de l’année suivante. Et mon bon vieux curé ajoutait pour que le trajet fut moins long, nous ne prenions pas la route mais les "voyettes", sentiers qui passaient à travers champs et que les gens du pays connaissaient bien. Cependant, disait-il, il fallait bien de temps à autre que mon père s’arrêtât pour reprendre haleine et s’éponger le front ruisselant de sueur. A la dernière halte avant la gare, il me dit Alors petit ça va aller, tu as tout ce qu’il faut, tu ne manques de rien ; puis après une petite hésitation, plongeant sa main dans le gousset de son gilet, il me dit "Tiens petit, tâche de bien t’en servir en cas de besoin". C’était une pièce de cinq francs qu’il prenait sans doute sur son nécessaire ; la vie était dure à cette époque.