Un petit Séminaire de la France des années 30" - Jean Six (extraits)


  Une journée ordinaire
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A 5 h 1/2 le matin, à toute volée, la cloche de la chapelle sonnait le réveil des petits séminaristes. Le surveillant de dortoir qui déjà faisait les cent pas allumait l’électricité et lançait un vibrant Benedicamus Domino, auquel les élèves devaient répondre Deo Gratias. Allez donc répondre, quand vous êtes encore profondément endormis Le surveillant à vive allure faisait le tour du dortoir, secouait un endormi mais le cas était rare; à force de se lever chaque jour à la même heure, à la même minute, un automatisme vous projetait hors du lit, vous faisait rejeter les couvertures et tous les garçons en chemise de nuit commençaient leur toilette. J’ai dit en chemise de nuit ; l’usage du pyjama ne se répandra que quelques années plus tard.

Le mobilier des dortoirs était des plus rudimentaires. Le dortoir, une longue salle rectangulaire avec au milieu deux rangées de lits séparées par une cloison en bois, de la même hauteur que le dossier des lits. Entre chaque lit, une armoire en bois fermée par un cadenas ; sur cette petite armoire, une cuvette remplie d’eau en vue de la toilette matinale ; en dessous du lit un pot de chambre et le long des murs du dortoir des patères en bois pour accrocher des porte-manteaux auxquels étaient suspendus costume de rechange, manteaux ou capuchons, le tout recouvert d’une toile rouge. C’est tout.

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Se laver le visage, les mains, s’habiller, se donner un coup de peigne dans les cheveux, faire le lit, tout cela était exécuté en vingt cinq minutes ; c’était suffisant mais il ne fallait pas traîner. Quelques-uns au bout d’un quart d’heure étaient prêts et allaient attendre la formation des rangs à la porte du dortoir. D’autres, et tout spécialement mon ami Louis, étaient régulièrement en retard. Tandis que les rangs se mettaient en mouvement, eux rejoignaient la troupe en clopinant tout en essayant tant bien que mal de faire le nœud de leur cravate.

6 heures. Tous les élèves, chacun dans sa division respective, se trouvaient debout devant leur bureau. Alors commençait la récitation de la prière du matin dirigée par le directeur de division, l’Abbé Jean Leblond dans la petite division, l’Abbé Seynave dans la grande. Mr Leblond m’a toujours impressionné et je n’étais pas le seul à ressentir un sentiment à la fois de crainte et de respect. On sentait chez lui la volonté de tout faire à la perfection.

La prière du matin, il la récitait lentement articulant bien chaque syllabe ; non seulement il se tenait très droit mais comme figé ; du haut de la chaire, les phrases nous tombaient claires et nettes, il célébrait impassible le culte du matin.

La prière ensuite s’interrompait pour la méditation d’une durée d’un quart d’heure; C’était une suite de réflexions coupées de brefs silences, sur un sujet donné le devoir d’état, la prière, le sacrifice, la mortification, le tout émaillé de citations des Pères de l’Eglise ou de quelques saints. Avec Mr Leblond revenaient, de temps à autre, des phrases de ses auteurs favoris St Jean Berchmans, St Louis de Gonzague, St François d’Assise. Après la méditation, c’était la fin de la prière du matin avec la récitation des litanies du St nom de Jésus. Dans la grande division, tout se passait de la même façon sauf que la récitation de la prière était menée à tour de rôle par un élève et la méditation, plusieurs fois par semaine, était dirigée par Mr le Supérieur Mr Allaert.

 

De six heures et demie à sept heures commençait le travail scolaire étude des leçons pour les classes de la matinée. Pour moi la besogne était copieuse. Supposons que cette matinée là nous ayons comme classes une heure de français et une heure de latin. Je puis dire à peu près le menu de cette demi-heure d’étude: 12 à 15 vers d’une tragédie (Esther ou Athalie); deux ou trois règles de grammaire française ; en latin 10 verbes irréguliers ou apprendre par cœur 5 ou 6 lignes d’un auteur latin plus une ou deux règles de grammaire avec les exemples. Les meilleurs d’entre nous ingurgitaient facilement cette nourriture ; moi je peinais ; le temps nie manquait, il m’eût fallu un quart d’heure de plus. Alors ? eh bien oui ! il y avait des trous.

A sept heures la petite cloche située non loin de l’entrée de la grande division nous invitait à ranger nos livres et à nous rendre en rangs dans un silence absolu à la chapelle ; d’abord la petite division suivie aussitôt par les élèves de grande division. Chacun parvenu à sa place (nous avions des rangs de chapelle comme aussi des rangs d’étude, ainsi tous les déplacements se déroulaient dans un ordre parfait, sans bousculade, sans désordre) chacun debout à sa place attendait que le dernier élève fut parvenu à sa place. Alors un élève de 1ère ou de philo, muni d’un instrument appelé ‘claquoir", faisait retentir les trois coups secs et retentissants pour la génuflexion collective un coup pour mettre un genou au sol, un deuxième pour se relever et un troisième pour s’agenouiller en vue de la messe qui allait commencer. L’élève qui avait cette mission l’avait pour une année et commandait ainsi tous les mouvements collectifs au cours de la messe ou des offices. Au bout de la huitième année de présence au petit Séminaire, j’eus ce privilège ; c’est le seul d’ailleurs qui m’échoua au cours de toutes ces années.

Il y avait aussi le sonneur, fonction importante car il réglait à la minute toute la vie de l’Institution ; le bibliothécaire, le "grippe-sou". Celui-ci était un personnage redouté mais qui ne sévissait que dans la petite division. Pendant des années la fonction fut exercée par un certain Bécu, petit, trapu à la face rubiconde, à l’œil pétillant de malice. Son rôle était de ramasser tous les objets d’ordre vestimentaire qui traînaient ; il les enfermait dans sa "cambuse" située sous l’escalier du préau de petite division et vous alliez le lendemain à son guichet les récupérer moyennant une modeste amende. Voilà pourquoi chaque élève avait un numéro d’ordre cousu sur ses vêtements j’avais le numéro 143.

L’hiver, chaque élève ou presque avait un cache-nez qu’il portait autour du cou en récréation. Son usage, toléré dans la cour, était interdit en étude. On le mettait alors à la taille comme une ceinture. Chaque jour au début de chaque étude, le "grippe-sou" secondé par un acolyte montait du fond de la longue salle d’étude marchant lentement, sans faire de bruit ; nos compères avec délicatesse enlevaient du cou du malheureux étourdi le cache-nez prohibé.

Il fallait attendre le lendemain soir pour aller au guichet récupérer son bien. La mesure était sage et hygiénique porter un cache-nez dans une salle convenablement chauffée était malsain. Cependant la mesure allait parfois à l’inverse du but recherché. Par temps froid et humide, privé du cache-nez que vous portiez habituellement, vous risquiez d’attraper un gros rhume.

Mais revenons à la chapelle où tous les élèves, sous le regard d’un surveillant installé à un prie-Dieu surélevé, étaient agenouillés pour la messe du matin. Celle-ci dite chaque jour par Mr le Supérieur se déroulait dans un grand silence seulement interrompu par la clochette du servant ponctuant les différents moments de la messe. Celle-ci s’achevait par les prières au bas de l’autel ; les cinq minutes d’actions de grâces toujours en silence et finalement la prière "O bon et très doux Jésus" récitée par le surveillant.

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Sept heures et demie c’est le passage au réfectoire pour le petit déjeuner, toujours en rang et en silence. Celui-ci va-t-il être interrompu pour le repas ? c’est la question. Pendant l’Avent et le Carême, non. 


En d’autres temps c’était selon l’humeur du père Seynave. En moyenne une fois sur deux le colloque était permis.

Quelques coups de clochette et c’était le brouhaha de trois cents élèves qui discutaient et se posaient des questions.

Si le colloque n’était pas autorisé, le repas commençait dans un silence à peine voilé par le bruit discret d’un couteau heurtant un bol, par un banc un peu déplacé. Un élève de grande division, souvent un élève de 3ème, montait dans la chaire placée contre un mur au milieu du réfectoire et commençait une lecture recto-tono. Que lisait-on ? Mes souvenirs sont très flous. En général, des lectures moins austères qu’au repas du midi ou du soir des comptes-rendus de pèlerinage, des vies de saints comme celle de St Jean Bosco, des récits sur la guerre d’Espagne en 1937.

Au repas de midi et du soir, c’était le tour de quelques élèves de seconde, 1ère ou philo, soigneusement choisis pour leur capacité en lecture publique. J’ai oublié le titre de bien des livres pourtant certains me sont restés dans la mémoire la vie du St Curé d’Ars, la bataille de Waterloo, les derniers jours de Louis XVI, la vie de St Benoît Lahre. Un livre dont j’écoutais la lecture avec beaucoup de plaisir c’était "Mes Évasions" du général Giraud, je crois. A midi, à la fin du repas, nous avions la lecture de la vie du saint fêté le lendemain, vie résumée en une page et le soir une page de l’imitation de Jésus Christ de Thomas a Kempis.

Puisque nous sommes au réfectoire, parlons un peu de la nourriture. Au petit déjeuner, pain et café au lait à volonté. Quant au beurre nous avions droit à une rondelle chacun. Cette ration était suffisante pour beurrer correctement deux tartines, mais des garçons de douze à dix huit ans ont un appétit qui va bien au-delà de cette ration alors pour le beurre, il fallait manipuler le couteau avec une extrême légèreté. A midi potage, viande souvent tranche de bœuf bouilli. légumes, la plupart du temps pommes de terre cuites à l’eau ou lentilles, purée de pois. Comme dessert souvent une pomme ou une cuillerée de confiture. Pour boisson, de la bière, mais de seconde qualité. Le soir, des pâtes, une boulette de viande ou du hachis parmentier ; comme boisson du " coco " ainsi appelait-on cette boisson faite d’eau très chaude à laquelle se trouvait mélangée une poudre ocre. Si ce breuvage était très ordinaire, il n’était pas désagréable ; nous en avions à volonté.

A 4 h 1/2, nous avions droit à un goûter ; on nous distribuait un morceau de baguette et comme boisson du coco Au cours de ma première année donc en 1932-33 et peut-être aussi l’année suivante, ce goûter était servi dans la cour de récréation. Deux domestiques arrivaient dans la cour avec un grand panier d’osier de forme rectangulaire rempli de baguettes coupées en morceaux et avec de grands brocs pleins de coco.
Nous faisions la queue comme des mendiants. Arrivés à hauteur du panier, un des domestiques nous remettait un morceau de baguette, l’autre nous servait un quart de "coco" qu’il fallait boire presque aussitôt car le nombre de quarts était limité. L’été et par beau temps, c’était supportable, l’hiver avec le vent, le gel et la neige, c’était triste. Bref, ce mode de distribution, par la suite fut aboli et de la salle d’étude en rangs, bien sûr, nous passions au réfectoire pour dix à quinze minutes.

Après le petit déjeuner du matin qui, pour moi, était le repas le plus agréable, nous passions vers 5 h 10 en cour de récréation pour bavarder non pas... pour jouer à des jeux imposés jeux de barres, jeu de l’épervier. Cette récréation durait jusque 5 h 25. Au cours de cette récréation, comme aussi au cours de celle de 4h 1/2 le soir après le goûter, nous pouvions solliciter, auprès du directeur de division, la permission de nous rendre à l’infirmerie, si nous en éprouvions le besoin ; cette permission nous était toujours accordée, mais il fallait la demander.

L’accès de l’infirmerie donnait dans le cloître juste à côté de la porte du bureau de Mr le Supérieur. 
C’était un lieu calme et paisible dont les fenêtres donnaient à la fois sur la cour des grands et sur les jardins. A gauche dans le couloir, une salle réservée pour les malades qui devaient garder la chambre; ils étaient très rares ; si le cas se présentait, le garçon était renvoyé dans sa famille jusqu’à sa guérison. Autant dire que ne fréquentaient cette salle que les élèves dispensés de promenade donc le mercredi et le dimanche après-midi. A droite dans le couloir, l’infirmerie elle était vraiment accueillante cette infirmerie. Au milieu une grande table rectangulaire, au-dessus de cette table pendait un abat-jour décoré avec une lampe qui répandait une vive lumière mais, en raison de l’abat-jour, les murs de la pièce se trouvaient dans une faible pénombre et puis un poêle, un poêle flamand alimenté au charbon et qui répandait partout une agréable chaleur.

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Dans l’infirmerie, trois sœurs en cornette blanche et parmi elles la Mère Supérieure, petite, le visage osseux ; sur le nez une paire de lunettes ; quand elle vous parlait, elle vous regardait toujours par dessus ses lunettes, le buste un peu penché ce qui lui donnait un air inquisiteur et soupçonneux. Pas moyen de toute façon de l’éviter, de passer par l’une ou l’autre sœur qui étaient de beaucoup plus conciliantes. 
C’était d’abord à Mère Supérieure qu’il fallait s’adresser.

- Qu’avez-vous, mon ami ?
- Je suis enrhumé, sœur Supérieure.
- Enrhumé ! enrhumé ! tout le monde est enrhumé. Vous n’avez point l’air malade mon garçon, allez, vous reviendrez demain si ça ne va point mieux. Au suivant.
- J’ai mal à la tête, ma sœur.
- Non, mère Supérieure.
- Oui, mère Supérieure.
- Vous avez de la fièvre ? Approchez, et elle posait sa main sur le front du garçon.
- Donnez-lui un cachet d’aspirine, ma sœur. Suivant.

Ainsi se succédaient, surtout l’hiver, les élèves qui avaient l’un une angine, un autre la grippe, un autre la diarrhée.

Pour ma part, j’ai fréquenté l’infirmerie pendant trois hivers, non que je souffris des maux précédemment cités, mais j’ ai eu de la furonculose à un point tel que certains furoncles furent ouverts au bistouri par le docteur à la séance du samedi soir en présence de Mr le Supérieur. Sœur Supérieure était quelque peu décontenancée avec moi. Impossible de nier la chose, c’était évident le furoncle qui grossissait puis le pus qu’il fallait sortir en pressant, cela rendait malade la sœur qui me soignait. J’en ai eu souvent dans le cou, dans le dos quelquefois, à la cuisse aussi et même quasiment au derrière, la sœur appelait cela un furoncle mal placé. A propos de celui-là, je me souviens que la sœur qui devait me soigner fit la moue, murmura Ah non ! Sœur Élise, qui s’occupait de la sacristie et aussi de fleurir les autels, l’avait entendu. Elle s’approcha de moi et avec un sourire me dit Venez de l’autre côté, mon petit, on va voir çà.

L’hiver, dans le coin de l’infirmerie, où se trouvait un évier rectangulaire de grande dimension, l’affluence des malades souffrant de la gorge était grande. Là se bousculaient six, sept élèves se pressant les uns les autres pour parvenir à atteindre l’évier et cracher l’eau du gargarisme que la sœur infirmière leur avait donné.

Parmi ces élèves, certains étaient des habitués et étaient devenus experts et virtuoses de cet exercice. Avec la quantité d’eau adéquate qu’ils avaient prise, la tête légèrement renversée, ils vous faisaient de ces roulades qui n’en finissaient pas ; je me demande même si certains n’engageaient pas entre eux des compétitions. J’ai participé une fois, non à ces compétitions mais à ces gargarismes.
Pour le non initié, l’opération est délicate et même risquée ; voulant engager le roucoulement, si vous ratez votre départ, il vous faut en toute hâte tout cracher si vous ne voulez pas avaler le produit. Mais la place au-dessus de l’évier ne vous est pas forcément réservée dans cette affluence et vous risquez de tout cracher sur la tête du malheureux penché au-dessus de l’évier crachant lui aussi à la fin de sa roulade bien menée. C’est ce qui m arriva. L’opération mal engagée, je dus en vitesse tout cracher; ce fut sur la tête d’un élève consciencieusement penché. Il releva la tête, passa sa main sur les cheveux, me regarda avec un long regard douloureux, réprobateur mais résigné et puis ce fut tout l’incident n’alla pas plus loin.

8 h 30, la récréation du matin était terminée. En rangs, les élèves rentraient dans leur division respective, prenaient livres et cahiers pour les deux heures de classe du matin et à l’appel de leur classe sortaient de l’étude pour se rendre dans le local prévu pour eux. Nos études étaient conformes au programme des études secondaires en vigueur à cette époque avec cependant quelques particularités. Nous étions tous engagés dans la même section, la section A Français, Latin, Grec.

 Notre langue étrangère était l’Allemand dont l’étude commençait en classe de cinquième. J’ai pu au cours de mes huit années constater une lente évolution dans l’esprit de nos maîtres. Il fallait, dans les premières années, apprendre avec application ses leçons, rédiger soigneusement ses devoirs, être très attentif en classe parce que c’était notre devoir d’état et cette expression "remplir son devoir d’état" revenait très souvent dans les méditations du matin ou les "lectures spirituelles". 
On nous disait aussi que nous n’étions pas des collégiens mais des petits séminaristes, différence que l’on nous priait de bien saisir. Notre objectif primordial, unique, était la préparation au sacerdoce. Les temps modernes voulaient que le prêtre ait un niveau de culture assez poussé, il fallait l’acquérir ruais il importait peu ou prou, du moins à nos maîtres des années 32-33. que nous accédions au baccalauréat. Si ici ou là émergeaient quelques intelligences brillantes qui tout naturellement passaient cet examen avec succès, tant mieux, mais l’événement était considéré comme secondaire. Je crois ne pas exagérer en posant ces affirmations.

La preuve en est que dans ces années là, les examens de passage d’une classe dans la classe supérieure n’existaient pas. Il fallait qu’un élève fut profondément attardé pour le prier de redoubler. La situation évolua peu à peu sans doute sous l’influence prudente de Mr Allaert, soutenu par les nouveaux professeurs qui, chaque année, venaient renouveler le corps professoral. 
Vers les années 35-36 fut établi l’examen de passage et l’objectif "baccalauréat" prit de l’importance. Finalement, je me souviens que le père Hoestlandt vers les années 38-39 nous déclarait tout bonnement N’oubliez pas que vous êtes d’abord des collégiens.


A 10 h 1/2 la petite cloche sonnait la fin des premières classes du matin. Après le passage en étude pour déposer nos affaires, nous avions vingt minutes de récréation. A Il h, étude de devoirs un thème latin ou grec, une lecture expliquée ou encore rédiger une dictée dont le texte nous avait été donné en classe et qui était suivie de questions de grammaire, d’analyse grammaticale ou d’analyse logique. A midi, l’étude prenait fin avec la récitation de l’Angelus en latin. Puis les rangs se formaient pour le passage des élèves au réfectoire ; certains plus pieux que d’autres, les bras croisés récitaient leur chapelet.

A midi, comme au soir, nos professeurs prenaient leur repas avec nous. Au fond du réfectoire sur une estrade qui prenait toute la largeur de la salle, une longue table était dressée à leur intention. Tandis que les élèves lentement se dirigeaient chacun vers la place assignée pour un trimestre, les professeurs un à un, d’un pas plus ou moins rapide suivant l’âge, allaient eux aussi s’installer à la grande table à la place qui leur était réservée suivant leur degré d’ancienneté. Mr le Supérieur, évidemment au milieu, présidait la table avec, à sa droite, un hôte de passage, ce qui n’était pas rare. Le benedicite récité par Mr le Supérieur, chacun s’étant assis, c’était ou ce n’était pas les quelques coups de sonnette donnés par Mr le Supérieur. Si oui, nous pouvions parler et c’était comme le matin un débordement de paroles ; si non, le lecteur de service montait dans la chaire pour la lecture imposée. Cette lecture était surveillée par le père Dupont. Un coup de sonnette de sa part, cela voulait dire que le lecteur devait relire sa phrase, souvent à cause d’une mauvaise liaison ; ou bien un autre coup de sonnette et immédiatement la voix du père Dupont retentissait donnant d’ailleurs l’exemple Ar-ti-cu-lez tou-tes les syl-la-bes, on ne vous comprend pas.


A midi trente, la récréation ; elle durait une heure. Le père Leblond, après le "Je vous salue Marie" récité devant le calvaire (on récitait des prières avant et après tous les exercices) proclamait les noms de ceux qui avaient du courrier pour que les intéressés aillent ensuite le retirer. Les lettres étaient ouvertes et avaient été lues par Mr le Supérieur ; nos lettres non cachetées passaient par Mr le Supérieur; c’était le règlement.

Cette récréation, je l’ai déjà dit n’était pas pour moi une détente, un plaisir. La brutalité de quelques camarades, dans leur façon de jouer, me faisait redouter ce moment de la journée. Aussi m’arrivait-il de me réfugier dans les W.C. d’abord pour les besoins de la nature mais aussi d’y rester plus que nécessaire. Par contre quand, en 3ème, je passais dans la cour de grande division où l’on jouait aux échasses l’hiver, au volley l’été, je retrouvais tout l’agrément normal de cette heure de détente.


A I h 30, fin de la récréation. Entrée en étude pour apprendre les leçons des classes de l’après-midi. En commençant, récitation de deux dizaines de chapelet. A 14 h 30, les deux heures de classe de l’après-midi. Ces classes étaient habituellement coupées par cinq minutes de colloque, mot qui voulait dire permission de bavarder, de discuter entre nous. A 4 h 30, fin des classes de l’après-midi, passage en étude, réfectoire pour le goûter et récréation jusque 5 heures. 


A 5 h, deux heures d’étude de devoirs. Au début de l’étude, un élève était chargé de ramasser les "billets d’appel" ; c’était une possibilité d’avoir un entretien avec l’un ou l’autre de nos professeurs, en général avec notre directeur de conscience. Cet élève allait déposer à la porte de la chambre de chaque professeur les billets qui leur étaient destinés. Au cours de l’étude ou au cours de l’un des jours suivants, le professeur renvoyait le billet qui était remis au guichetier par une frappe pratiquée dans le mur de l’étude. Ce dernier allait d’abord montrer le billet au surveillant puis allait le porter à l’élève.

Cette étude de deux heures était consacrée aux longs travaux, aux devoirs importants rédactions ou dissertations, version latine ou version grecque, problèmes de mathématiques. C’était, à mon avis, le moment de la journée où s’accomplissait dans nos esprits le travail en profondeur. Un étranger entrant dans la salle d’étude vers 6 h - 6 h 1/2 aurait probablement ressenti cette impression mystérieuse de germination qui s’opérait dans nos jeunes cervelles. Dans le silence intense qui régnait et planait au-dessus de toutes ces têtes penchées, il aurait vu la rédaction qui, au fil des semaines et des mois, devenait plus alerte, plus précise et plus juste dans le choix du vocabulaire ; il aurait vu le texte de César, Cicéron ou Tite-Live, le récit de Xénophon ou le discours de Démosthène qui au début refusait obstinément de livrer le sens de sa phrase, pour finalement laisser filtrer peu à peu le message inconnu.

Vous croyez que j’exagère ? Bien sûr j’exagère et toutes les études du soir étaient loin de ressembler à la description que j’ai tenté de faire. Il y avait des soirs où circulait une sorte d’énervement des chaises remuaient, des éternuements étaient bruyants, des objets tombaient trop bruyamment. Cela dit, de temps à autre, deux ou trois fois par mois, la salle d’étude était remplie de cette ambiance calme et studieuse. Il me semble que je me devais de le souligner.

Petit détail à noter au cours des séances d’étude, il était interdit d’ouvrir sa cassette. A chacun de savoir au début de l’étude, les livres, cahiers dont il avait besoin. Après cinq minutes d’étude, un coup de sonnette vous faisait savoir que d’ouvrir sa cassette était interdit.


Sept heures marquait la fin de la longue étude du soir. De sept heures à sept heures 1/2, lecture spirituelle. Pourquoi cette dénomination "lecture spirituelle" ? Je me pose encore la question. Il ne s’agissait jamais de lecture. Quant à "spirituelle" cet adjectif déclenchait facilement les sourires narquois et ironiques des élèves de Seconde et Première. Parlons plutôt de causeries, d’entretiens. Ces causeries se faisaient simultanément en 1ère et en 2ème division. En 1ère division par Mr le Supérieur, quelquefois le père Seynave ; en 2ème division, toujours par son directeur le père Leblond.

En 2ème division, chaque année commençait par la lecture, chapitre par chapitre du "REGLEMENT". Pour une fois, il s’agissait bien de lecture. Rédigé à la manière d’un code civil, article par article, chapitre par chapitre, le père Leblond d’une voix forte et solennelle, nous lisait le règlement établi depuis la fondation de l’institution. Article 1er... article 2ème... tout y passait ; la vie du petit séminariste était codifiée depuis son lever jusqu’à son coucher, depuis la rentrée en octobre jusqu’à son départ en juillet. Que dis-je ? il y avait aussi tout un chapitre sur la vie du petit séminariste en vacances ce qu’il doit faire.., ce qu’il doit éviter. Par exemple le petit séminariste aura soin, après avoir salué ses parents d’aller présenter ses respects au curé de la paroisse, de se mettre à sa disposition pour les petits services qu’il pourrait rendre ; il se souviendra toujours d’avoir une tenue correcte, un langage poli etc...

Ainsi donc, même en vacances, le règlement nous collait à la peau. La lecture de ce règlement nous était distillée tout au long du mois d’octobre et de novembre, avec évidemment des interruptions de temps à autre pour des interventions de première nécessité une fête importante, une mise au point sur un article du règlement spécialement négligé ou égratigné. Mr Leblond, dans ce cas, ne ménageait pas ses mots. C’était aussi au cours de cette demi-heure que nous étaient annoncées les toutes petites modifications qui pouvaient survenir dans le déroulement de nos prochaines journées.

En grande division, donc aux élèves de 3ème - 2ème -1ère - philo. Mr Allaert notre supérieur venait nous faire la lecture spirituelle. D’un pas tranquille et mesuré, le buste droit, il montait dans la chaire de division ; d’un signe de tête, il nous invitait à nous asseoir. Je ne crois pas me tromper en affirmant que chacun l’écoutait avec plaisir. Les recommandations concernant la discipline, le déroulement de la vie quotidienne au séminaire, n’étaient pas son affaire. Il laissait cette besogne au père Seynave. Lui venait pour nous faire une causerie. D’une voix un peu sourde, mais suffisante pour être perçue, il nous parlait d’un sujet détermine. Hélas ! le temps a fait son œuvre et il me serait difficile de rapporter l’une ou l’autre de ses causeries. Mais les citations littéraires ou les anecdotes dont il émaillait son discours me laissent quelques traces des thèmes qu’il développait.

Anecdotes sur la vie des tranchées, mettant en valeur le courage, l’esprit de sacrifice, l’héroïsme de ces soldats, simples citoyens, hommes du peuple qui calmement, sans forfanterie, accomplissaient un devoir au-dessus du commun et là venait s’insérer la citation de quelques vers du grand Corneille tirés d’Horace ou de Cinna ; il aimait les citations mais elles faisaient tellement bien corps avec ses propos ! En quelques mots il nous présentait l’auteur par un détail particulier de sa vie. Il aimait nous parler du travail bien fait et nous citait une répartie de Sganarelle du "Médecin malgré lui"

"Il est vrai, Messieurs, que je suis le premier homme du monde pour faire des fagots. "Péguy et sa mère, modeste rempailleuse de chaises ; Guynemer on n a rien fait tant qu’on n a pas tout fait; Thérèse de Lisieux et sa vie recluse de carmélite elle n’a rien fait d’extraordinaire, mais elle a tout fait extraordinairement bien. Sur le travail scolaire, il citait Boileau "Hâtez-vous lentement et sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, polissez-le sans cesse et le repolissez". Le thème de l’effort revenait souvent dans ces entretiens. Avec L. Veuillot, il nous disait: "On va au ciel avec un caillou dans son soulier".

Il ajoutait "N’imaginez pas de faire des trouvailles sensationnelles ; tout l’art d’un écrivain est de bien s’exprimer" et avec un sourire bienveillant il nous citait La Bruyère "Tout est dit et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent".Il nous citait aussi Montaigne, La Fontaine, Montesquieu, Chateaubriand, Péguy...

Je l’écoutais avec beaucoup d’intérêt, je n’étais pas le seul.

Sept heures et demie, le repas du soir, le "souper"; huit heures, récréation occupée essentiellement à se mettre en pantoufles et sous le préau ouvert à tout vent à nettoyer et à cirer les chaussures. Cette occupation n’eût pas été fastidieuse si l’éclairage eût été meilleur. Hélas ! on nettoyait dans la pénombre, claquant des dents souvent sous les rafales de la bise hivernale.


Vers 8 h 20, entrée en étude pour la prière du soir, récitée à tour de rôle en grande division par un élève. Une fois par mois, en réalité, une ou deux fois par trimestre en raison de certaines circonstances, se faisait au milieu de la prière du soir l’exercice de la bonne mort moment vraiment rêvé, surtout pour les plus jeunes pour déclencher des cauchemars dans la nuit qui suivait. D’autant plus que cet exercice, qui était une sorte de longue prière, était aussi une évocation fort réaliste des derniers instants de la vie. Voyez plutôt "Tandis, Seigneur, que mes paupières devenues lourdes ne pourront plus se soulever, que mes jambes refroidies seront pour toujours devenues immobiles, que ma langue engourdie ne pourra plus... etc. Le père Leblond, à la suite de cette lugubre évocation, ne manquait pas de nous accorder un long temps de méditation. Inutile de dire que dans l’étude le silence était total.


Vers 8 h 30, c’était la montée au dortoir dortoir St François, dortoir St Louis... Au fur et à mesure de ces appels, tout un paquet d’élèves s’en allait, passait par les casiers aux chaussures et en rangs accompagnés de leur surveillant, montait au dortoir. Il eût été facile de chuchoter un mot à l’un ou à l’autre dans cette demie obscurité ou au dortoir d’un lit à l’autre. En fait, bien peu s’y risquaient. La rigueur de la discipline était encore beaucoup plus stricte au dortoir que partout ailleurs. Pris en flagrant délit pour un mot, c’était automatiquement un 4 de dortoir aux notes de la quinzaine avec en plus un très léger temps d’arrêt dans l’énumération des notes faites par Mr le Supérieur. Cela voulait dire aussi qu’une récidive mettait l’élève en grand danger d’une exclusion ; en tout cas l’éventualité pouvait être envisagée.

Dans ces conditions, la discipline était respectée. Chacun se mettait en tenue de nuit, se brossait les dents, se couchait. Vers 8 h 45 la grande cloche sonnait à toute volée le couvre-feu ; le surveillant récitait le dernier " je vous salue, Marie " suivi de quelques invocations. Les lumières s’éteignaient ; au bout de quelque temps le sommeil avait gagné les corps allongés tandis que le surveillant, d’un pas feutré, continuait calmement sa ronde dans le dortoir enténébré.

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