Le 1°
trimestre
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Après avoir essayé d’évoquer la vie de tous les
jours à St Français, je voudrais parler maintenant non pas des fêtes,
le mot serait exagéré, mais disons des grands moments jalonnant la vie
du jeune pensionnaire.
Commençons par la retraite de la rentrée. Rien de
comparable avec les retraites de communion solennelle d’autrefois et
surtout avec celles d’aujourd’hui qui sont gaies, vivantes, où il y a
des jeux pour mieux souder tous les participants. Là non ; avec le
régime de pension nous étions retirés du monde ; avec la retraite qui
durait trois jours, du mercredi soir au dimanche matin, nous étions une
deuxième fois retirés du monde, mais ici au sens moral. Elle avait lieu
dès les tout premiers jours de l’année scolaire ; tout exercice
profane était banni ; plus aucun cours, seul subsistait le cadre de vie
de la journée. Les heures de classe étaient remplacées par des
prédications faites à la chapelle par un prêtre étranger à la
communauté, souvent un religieux jésuite, rédemptoriste, lazariste ou d’un
autre ordre. C’était la coupure nette avec les vacances dans lesquelles
nous étions encore plongés quelques jours auparavant.
Maintenant il fallait s’occuper de son âme ; la question était posée comment se sanctifier, comment devenir un saint -rien de moins- pour ensuite porter aux autres la grâce que d’abord nous avions fait fructifier en nous. L’objectif était clair, net, bien posé et en vérité juste. Seulement comment réagissaient en leur for intérieur les petits gars qui venaient du patronage pour faire le patro comme Mr le Vicaire ? ou ceux qui venaient s’instruire pour être un jour professeur de collège ? La réponse, je ne peux pas vous la fournir, incapable de percer le mur des consciences et puis... c’est évident, l’immense majorité, pour ne pas dire tous, voulaient devenir prêtres, tout au moins dans les premières années de leur internat.
Néanmoins le but ainsi fixé devait provoquer un choc et quelques uns de se dire Alors pourquoi ne pas aller plus loin et donc se faire moine?
Après ces prédications austères, nous allions en salle d’étude où les devoirs et les leçons étaient remplacés par d’autres exercices rédiger un résumé de la dernière prédication, méditer sur le sujet exposé, lire un passage d’évangile ou de l’imitation de Jésus Christ. Au dernier jour de la retraite, le samedi, la confession et attention pas n’importe laquelle ; c’était en quelque sorte la grande confession de l’année. Nous pouvions, nous étions même invités à cette occasion à passer par le prêtre prédicateur, comme si nous avions un lourd passé à liquider. Enfin, il fallait prendre des résolutions de retraite et pour que ce ne fit pas une vague rêverie, il fallait les mettre par écrit.
Je reviens un instant sur ces prédications austères de la retraite qui nous mettaient en face de notre vie, laquelle s’achèverait inéluctablement par la mort ; ainsi avions-nous à méditer sur nos fins dernières le jugement particulier, le ciel ou l’enfer. Ce genre de prédication n’était pas le thème de chaque année, mais cela arrivait. J’aimerais posséder le talent de James Joyce. le grand écrivain irlandais de Dublin qui vécut de 1882 à1941, qui fut élevé dans un pensionnat de jésuites et qui décrit admirablement dans son livre "Dédalus" une retraite de ce genre alors qu’il avait 16 ans. En un long discours, nous raconte-t-il, le prédicateur supplie ses chers retraitants de tout faire pour ne pas tomber dans cet abîme de feu "sans bornes, sans rivage et sans fond, dans ce cloaque qui dégage une effroyable puanteur... une montagne jetée dans l’océan enflammé de l’enfer serait consumée en un instant comme un morceau de cire... qu’il est terrible le sort de Ces malheureux Le sang s’échauffe et bout dans les veines, la cervelle bout dans le crâne le cœur dans la poitrine s’embrase et éclate, les entrailles ne sont plus qu’un rougeoyant amas de pulpe qui se consume ; les yeux délicats flambent comme des globes en fusion...
Je reconnais que nos prédicateurs n’allaient pas jusqu’à brosser des descriptions aussi hallucinantes. Il n’empêche que le jansénisme répandu autrefois dans nos régions du Nord et qui a marqué mon enfance ne doit pas être étranger à cette vision du monde. Mon enfance, dis-je, fut fortement influencée par cet aspect terrible de la religion. Lorsque j’avais 10 ans mon père, comme tous les fermiers du village, faisait lui-même son pain tous les quinze jours. Le four était chauffé avec des fagots d’épines qui produisaient "un feu d’enfer" Eh oui, disait mon père ruisselant de sueur, un feu d’enfer, tout en essayant avec peine de déplacer avec une longue fourche un fagot qui se consumait. il ajoutait au sujet de l’éternité Je me souviens que, petit garçon comme toi, allant au catéchisme, notre vicaire nous disait L’éternité, personne ne peut comprendre ce que c’est. Imaginez une pierre grosse comme notre église ; supposez qu’une hirondelle vienne tous les cent ans frôler cette pierre de son aile, enlevant de cette façon à chaque passage une infime poussière, quand cette énorme pierre grosse comme l’église serait complètement usée, l’éternité ne ferait que commencer.
Telle était la façon de concevoir la religion dans le début du siècle et encore dans les années 30. Peu à peu on en vint à insister davantage sur l’amour infini de Dieu notre Père, à méditer la parabole de la brebis perdue et celle du retour de l’enfant prodigue.
De nos jours, nous allons peut-être un peu trop loin. "Tout le monde est beau, tout le monde il est gentil et nous allons tous au paradis Le juste milieu, c’est difficile.
Le 1er novembre, fête de la Toussaint, première fête liturgique de l’année scolaire. Le nouveau venu au petit Séminaire ne pouvait pas manquer d’être frappé par le faste de cette solennité grand tapis déployé sur toute la surface du chœur de la chapelle, fleurs sur les trois autels, exposition dans le chœur à droite d’une châsse contenant des reliques, de quel saint ? je ne l’ai jamais su.
Autre particularité de la journée au lever, nous nous rendions immédiatement à la chapelle, non pour la prière du matin ordinaire mais pour chanter l’Office. Nous chantions "Prime" et toute la journée était ponctuée par les chants de l’Office divin. Avant la grand-messe Tierce, avant le repas de midi Sexte; dans l’après-midi None ; vers 5 h Vêpres, le soir Complies. Ces festivités religieuses, avec le chant des heures canoniales, se renouvelaient encore deux fois dans l’année, à Noël et à l’Ascension.
Au 11 novembre, nous avions trois jours de congé. Trois jours, c’est peu, mais la semaine qui précédait en était toute illuminée ; dans cinq jours, dans quatre jours je serais de retour au pays. Trois jours avant ,nous faisions la queue au guichet de Louis Fauvergue pour le billet de chemin de fer. La veille, après la récréation à I h 1/2 nous allions au dortoir pour préparer la valise. Le capital "vacances" était encore là tout entier, intact,. Les vacances étaient pour le lendemain. Je crois que c’est toujours la veille, le plus beau moment des vacances.
A la mi-décembre, exactement le 11, nous fêtions la St Daniel (Daniel le stylite) le saint patron de notre Supérieur. La veille, après le repas de midi, commençaient déjà les prémices. Chaque midi, à la fin du repas, le lecteur lisait un bref résumé de la vie du saint du lendemain. Donc le 10 décembre, le lecteur annonçait Il décembre, St Daniel le Stylite. Aussitôt toute l’assemblée applaudissait sur l’initiative d’ailleurs du corps professoral. Un élève de première, en costume du dimanche et ganté, s’avançait à quelques pas de l’estrade et lisait les vœux qu’il formulait à l’adresse de notre Supérieur, en son nom et au nom de tous, vœux, compliments, vus et corrigés plus ou moins par son professeur Mr Destombes. A la suite de quoi Mr Allaert répondait avec son tact, sa bonhomie, son charme habituels.
La grande affaire, c’était le lendemain soir. Un groupe d’élèves de seconde, première, terminale avait préparé une soirée théâtrale sous la direction de qui ? Les noms n’arrivaient jamais au grand jour, mais on les devinait en premier lieu Mr Destombes, peut-être aussi la participation du père Dupont. Comme le petit Séminaire ne possédait pas de salle de fêtes, nous allions à cette occasion de l’autre côté de la rue, au collège St Jacques qui possédait une salle parfaitement agencée pour cet usage sièges comme dans un théâtre et une scène.
Je ne sais si mes camarades ont conservé les mêmes souvenirs que moi. Chaque fois que j’entrais dans cette salle pour voir une pièce de théâtre, j’avais l’odorat envahi par une odeur indéfinissable, loin d’être désagréable. Il flottait dans l’air une vague fraîcheur qui venait de la scène, de derrière les rideaux, comme celle venant d’étoffes neuves que l’on vient de déplier. Je ne peux en dire plus, mais j’aimais respirer cette fraîcheur étrange et, dans les premières années, je m’imaginais qu’elle venait de ce monde ancien qui allait être ressuscité devant nous. L’explication rationnelle je ne la possède pas de façon certaine, vraisemblablement cette bizarre fraîcheur, légèrement odorante, venait des décors qui avaient été peints la semaine précédente par le père De Bock. C’était lui en effet qui assurait la partie technique de la représentation.
Ainsi donc, le 11 décembre 1932, vers 17 h, on représenta "La Farce de maître Pathelin" ; le rôle du berger Agnelet était joué par un élève de 3ème de petite taille, un certain Bogeart ; à la suite de cette farce fut jouée la grande tragédie de Racine "Athalie". Je revois encore les décors l’entrée du temple de Jérusalem, Joad, le grand prêtre à la voix grave et puissante, le jeune Eliacin, Mathan le fourbe et la douce Josabeth.
Deux fois chaque année, nous avions le plaisir d’assister à des représentations théâtrales. D’abord à la St Daniel, le 11 décembre et une deuxième fois au second trimestre au profit de la conférence St Vincent de Paul. Celle-là était sous la direction du père Dupont. Le dimanche suivant, elle était jouée à nouveau devant les parents invités. J’ai perdu le souvenir de beaucoup d’entre elles; Cependant il me reste en mémoire "l’Antigone" de Sophocle, "Polyeucte" de Corneille et surtout la Passion de Notre Seigneur, texte arrangé par le père Dupont et accompagné d’une chorale avec des chants liturgiques dirigée par le père Legrand; on a peut être joué le "Misanthrope" de Molière, mais sûrement "Les Femmes Savantes". La comédie fut interprétée par mes camarades de Seconde en juin 39. Ce fut aussi la dernière manifestation à la salle de St Jacques avant les événements tragiques de 40.
Avant de quitter la salle des fêtes du collège St Jacques, je m’en voudrais de ne point signaler quelques extra qui nous furent donnés surtout à partir de 35-36, sous la poussée sans doute des jeunes professeurs.
Une conférence de Mr Pierre Deffontaines, professeur à la Catho, sur la forêt dans le monde ; une autre de Guy de Larigaudie sur son raid Paris - Saïgon ; une conférence sur Zermatt et le mont Cervin ; des danses basques par un groupe de réfugiés espagnols qui avaient fui la guerre civile. C’était là quelques bouffées d’air extérieur que j’appréciais énormément en raison de leur grande rareté.
Je reviens à présent au déroulement de l’année scolaire au petit
séminaire St François. Après le Il décembre, commençaient les examens
écrits. Composition française ou dissertation, version latine, version
grecque, maths. Les répétitions de chants nous annonçaient Nod ; dès
le 17 décembre commençaient le chant des Antiennes, les grandes O
"O sapientia quae ex ore Altissimi prodisti... Ces grandes antiennes
qui précèdent et suivent le "Magnificat" nous les chantions
dans la chapelle à demi éclairée, après le repas du soir en sortant du
réfectoire.
Certains hivers étaient extrêmement froids et tandis que la chorale et
les élèves chantaient en alternance les versets du
"Magnificat", que la grande cloche sonnait à toute volte, je
regardais les vitraux de la chapelle tout givrés qui brillaient de mille
petits cristaux de glace provoqués par le froid.
Enfin arrivait le 25 décembre. Au cours des répétitions, on avait notamment soigné le chant "O douce nuit" (Stille Nacht) à 4 voix ; certaines années c’était assez réussi. Quant au déroulement de la journée de Noël c’était le même faste religieux que le jour de la Toussaint avec les petites heures chantées en temps voulu. Comme extra le matin, nous avions au petit déjeuner un petit pain gâteau coquille et du chocolat.
Quand il m’arrive de parler des Noëls de cette époque à mes petits enfants, aussitôt ils s’esclaffent Eh quoi I vous passiez le jour de Noël en pension ? Oui, mais je reconnais que personnellement je n’en souffrais pas trop et même je n’y pensais presque pas.
Le trimestre n’était pas terminé ; il y avait le lendemain et le surlendemain les fameux examens oraux où chaque élève était interrogé en particulier par un professeur autre que le professeur habituel, parfois même par un professeur étranger à l’institution. Toutes les matières figuraient au programme de ces examens ; il n’était pas question dans ces conditions de se déconcentrer.
Dans les petites classes et jusqu’en 4ème, nous arrivions à un summum. Nous avions entre les écrits et les oraux les interrogations de mémoire. L’épreuve était terrible. Tout au long du trimestre nous avions appris pour réciter à chaque classe un texte qu’il fallait savoir par cœur 10 à 12 vers de tragédie ; en latin 4 ou 5 lignes de César ; en grec même chose pour Xénophon ou Lucien et le dimanche nous avions toujours quelques versets du "Novum Testamentum". Quinze jours avant l’examen, révision de tous les textes. Le jour venu, A tour de rôle nous récitions quelques lignes de cette masse de textes enregistrés dans la mémoire, encore fallait-il suivre avec une extrême vigilance celui qui récitait, pour être en mesure de prendre la relève au moment où vous étiez interrogés.
Les examens oraux se terminaient en général le 28 décembre, il restait encore deux jours de classe. A vrai dire, c’était deux journées tranquilles où les professeurs faisaient leurs commentaires sur les résultats, sur l’ensemble du trimestre ; les exercices, s’il y avait exercices, étaient faciles et souvent la classe s’achevait par la lecture d’Arsène Lupin ou dans les classes supérieures, de poèmes de P. Claudel, F. Jammes ou Péguy par exemple.
Enfin arrivait le 30 décembre. A 17 h tout le petit Séminaire était réuni au réfectoire pour la proclamation des notes et des examens et aussi les places d’excellence. Sur l’estrade, au centre, avait pris place Mr le Supérieur entouré à droite et à gauche du corps professoral. Un élève de philo présentait les vœux de tous à Mr le Supérieur et au corps professoral pour l’an nouveau. Mr le Supérieur y répondait brièvement ; ensuite proclamation des résultats; D’abord les places de la composition d’instruction religieuse, depuis la classe de philo jusqu’à la 7ème, ensuite les places d’examens, enfin les places d’excellence.
La cérémonie s’achevait à la chapelle par un salut au St Sacrement. Repas du soir et le lendemain matin 31, c’était le départ en vacances dans les différentes directions et ce, jusqu’au 13 ou 14janvier suivant les variations du calendrier.