Le 2° trimestre
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RETOUR A DANIEL ALLAERT

Le deuxième trimestre a toujours été le plus important de l’année scolaire. Trimestre assez austère, période de travail intensif, période de froid, de gel, de pluie dans laquelle venaient aussi s’insérer les quarante jours de carême. Le deuxième trimestre était aussi un trimestre qui avait une durée fantaisiste suivant que Pâques tombait le 24 Mars ou le 25 Avril ; il pouvait y avoir suivant certaines années une différence d’un mois, ce qui par voie de conséquence faisait aussi varier la longueur du troisième trimestre.

Nous rentrions de vacances quasiment à la mi-janvier et la première fête (on pouvait appeler fête tout ce qui venait rompre la monotonie de nos journées), c’était le 2 Février, fête de la purification de la sainte Vierge. Avant la célébration de la messe solennelle du jour, bénédiction des cierges, leur distribution avec le chant répété de I'antienne "Lumen ad revelationem gentium et gloriam plebis tuae lsrael". A la suite de quoi, toute la communauté se mettait en marche pour la procession autour du cloître.

Avec Février commençait la période du carême, donc terminés les colloques au réfectoire. Midi et soir, repas en silence accompagnés de la lecture du livre en cours, souvent un livre d’histoire. Le deuxième trimestre, ai-je dit, était la période d’efforts intensifs. A ce sujet en cinquième nous avions la préparation d’un combat épique entre les deux classes sur la conjugaison des verbes grecs et surtout les temps primitifs des verbes irréguliers. Après une période de travail acharné, le jour J dans la matinée les deux classes s’affrontaient en un duel à mort dans le réfectoire des professeurs (c’était le seul jour et la seule fois dans toutes les années d’étude que nous étions admis à pénétrer dans cet antre mystérieux). 

Dans cette salle rectangulaire les 30 élèves de chaque classe de cinquième dénommée improprement 5ème A et Sème B étaient alignés, chaque classe se faisait face. Le combat commençait par des formes grammaticales faciles (ex luô au futur 3ème personne du singulier) ; rares étaient ceux qui tombaient au premier tour. Mais au 6ème et 7ème tour beaucoup avaient mordu la poussière. Il ne restait bientôt plus qu’une dizaine de combattants dans chaque camp. Les formes grammaticales devenaient beaucoup plus ardues, le temps de réflexion quasiment inexistant ; une ou deux secondes après la question posée, le coup de règle retentissait sur la table, donnant la parole au camp adverse. Il arrivait parfois qu’il ne restait plus qu’un seul combattant dans chaque camp. Grande était l’émotion dans la salle et encore bien plus dans le cœur de chacun des protagonistes. Sur l’un et sur l’autre reposait l’honneur de la classe et pour augmenter encore l’intensité de l’angoisse, il arrivait aussi que Mr le Supérieur venait assister à la fin du duel.

Si la matinée avait été marquée par des émotions fortes, par contre l’après-midi était une demie journée de détente ; les cinquième partaient en promenade toute l’après-midi avec leurs professeurs, souvent au bois des huit-rues.

Semaine après semaine, nous arrivions dans la perspective de la semaine sainte. Dans les jours précédant le dimanche de la Passion se succédaient les redoutables examens écrits, les oraux se passaient invariablement le lundi et le mardi saint suivant le même protocole qu’au premier trimestre. L’arrivée de la semaine sainte n’était pas de nature à nous rendre moroses, tristes, bien qu’elle commémorât la tragique passion du Seigneur. C’était la semaine qui débouchait sur les vacances de Pâques 15 jours de vacances. L’hiver était fini, la végétation reverdissait, les jours allongeaient, bientôt 15 jours de liberté dans cette atmosphère tonifiante, c’était une perspective exaltante

Le premier signe qui annonçait le commencement des cérémonies liturgiques, nous le découvrions le matin du dimanche de la Passion les statues de la chapelle étaient recouvertes d’un voile violet ainsi que les crucifix, même l’immense peinture au dessus du maître autel était voilée. Aux vêpres était chanté l’hymne "Vexilla regis prodeunt, fulget crucis mysterium... avec la célèbre 6ème strophe: "O crux ave, spes unica... J’ignorais à cette époque que cet hymne était chanté par les troupes vendéennes panant au combat pour leur Dieu et pour leur roi.

Entre le dimanche de la Passion et celui des Rameaux, nombreuses répétitions de chants pour la semaine sainte. Avec le dimanche des Rameaux, c’était l’ouverture de la semaine sainte avec dans la matinée un office qui durait deux bonnes heures. D’abord, l’aspect triomphal avec la procession précédée de la bénédiction et de la distribution du buis (une année nous eûmes droit à des palmes). Pour la procession toute la communauté s’ébranlait hors de la chapelle, franchissait la porte d’entrée du séminaire et continuait son chemin sur le trottoir longeant le séminaire tout cri chantant les Antiennes du jour "Pueri hebraeorum portantes ramos... et finalement le "‘Gloria laus et honor tibi sit...". La liturgie voulait au retour que quelques chantres entrassent dans l’église et que la porte ensuite fût refermée, le reste de la procession restant à l’extérieur. Les rites étaient strictement observés ; quelques choristes avec le maître de chapelle entraient, la porte dorée du séminaire était fermée et l’on entendait les voix à l’intérieur qui nous parvenaient comme du fond d’une caverne, chantant le "Gloria laus". Le chant était alterné avec la communauté restée dans la rue. A la fin des strophes et du dernier "Gloria laus" un grand silence ; le sous-diacre qui, en cette circonstance était toujours le père Seynave, s’avançait de quelques pas ; avec la hampe de la croix heurtait trois fois la porte toc, toc, toc, la porte s’ouvrait et avec le chant de l’ingrediente, tous rentraient à la chapelle pour la grand-messe solennelle des Rameaux. Nous entrions aussi dans la partie douloureuse de l’office avec l’évangile et le chant de la Passion selon Saint Matthieu. 
Trois pupitres et trois prêtres se trouvaient dans le chœur pour le chant de cet évangile l’un chantait les paroles du Christ d’une voix grave, un autre les paroles des interlocuteurs du Christ sur un ton nettement plus élevé : Saint Pierre, Juda, Pilate etc... et le troisième était le narrateur sur un ton récitatif Le rôle ne revenait pas inéluctablement chaque année au même prêtre, mais en raison de la qualité des voix, c’était souvent les mêmes le Christ, très souvent le P; Dupont, le narrateur, le Père De Bock et le rôle des interlocuteurs du Christ le Père Haverland. Ce chant de la passion quoique d’assez longue durée était bien suivi par les élèves à partir du niveau de la quatrième, grâce à leur formation latine et religieuse.

Les festivités liturgiques s’interrompaient ensuite jusqu’au mercredi soir, laissant place au travail scolaire des examens oraux. Le mercredi soir débutaient les grandes cérémonies qui n’allaient plus nous lâcher jusqu’au samedi matin. En effet, le mercredi saint vers 17 h. 30 - 18 h. nous chantions à la chapelle l’office des matines et des laudes du jeudi saint. La Chapelle était faiblement éclairée ; dans le chœur un chandelier triangulaire avec 15 cierges allumés, 7 d’un côté, 7 de l’autre et au sommet du triangle, le 15ème. Le chant monotone des psaumes commençait toujours précédé d’une antienne : "Zelus domus tuae comedit me..." antienne différente à chaque psaume. Intercalés dans le chant des psaumes venaient les lamentations. Un choriste vêtu de la soutane noire et du surplis blanc entrait dans le chœur, s'inclinait devant le célébrant et commençait le chant triste et monotone des lamentations de Jérémie "Incipit lamentatio Jérémiae prophctae Aleph... chaque séquence se terminait invariablement par le même formule "Jerusalem, Jerusalem convertere ad dominum Deum tuum". A la fin de chaque psaume le cérémoniaire s’avançait lentement pour éteindre un cierge.

Finalement, tous les cierges du triangle étaient éteints sauf celui situé au sommet. A la fin du cantique de Zacharie "benedictus" le cérémoniaire enlevait le dernier cierge allumé et s’en allait le cacher derrière l’autel, du côté de l’épître ; toutes les lumières étaient éteintes dans la chapelle et dans l’obscurité c’était le chant grave du "Christus factus est pro nobis obediens usque ad mortem". Les prières achevées, on frappait assez bruyamment sur les bancs avec le livret de chant et le cierge caché derrière l’autel réapparaissait et revenait au sommet du triangle, seule lumière éclairant l’assemblée enténébrée qui lentement se retirait.

Toute la journée du jeudi saint était consacrée à des exercices de piété. Dès le matin, messe solennelle avec diacre et sous-diacre et communion pascal. Vers 9 h.- 9 h. 30 cérémonie du lavement des pieds. Douze enfants des familles assistées par la conférence de Saint Vincent de PauI, pieds nus, prenaient place dans le chœur sur des tabourets : 6 d’un côté, 6 de l’autre et le célébrant, toujours Mr le Supérieur entouré du diacre, sous-diacre et cérémoniaire, tandis que la communauté chantait les antiennes de cette cérémonie: "Mandatum novum do vobis ... Ubi caritas et amor... etc, le célébrant donc agenouillé successivement devant chaque enfant lui lavait les pieds avec l’eau du bassin tenu par le cérémoniaire. Le lavement terminé, les enfants se retiraient à la sacristie. Nous savions, nous les petits, par les indiscrétions des grands, qu’ensuite ils allaient au réfectoire des professeurs où on leur servait un petit déjeuner copieux et fort appétissant.

L’après-midi, nous partions en promenade mais une promenade tout à fait spéciale ; nous allions successivement visiter les reposoirs des différentes paroisses : Saint Eloi, l’église principale, Notre Dame, la paroisse des cheminots, Saint Charles qui était plutôt une grande chapelle, la paroisse ouvrière. Cela nous permettait aussi de ressentir l’atmosphère religieuse en ville. Les églises n’étaient point désertes, loin de là. Des paroissiens allaient rendre visite au Saint Sacrement exposé au milieu d’un autel abondamment fleuri et illuminé ; eux aussi, comme nous, faisaient le tour des paroisses.

Vers 16 h. 30 retour au petit séminaire goûter, récréation puis, à la chapelle sermon de la passion. Le professeur prédicateur était différent chaque année ; j’ai oublié bien des sermons, pourtant je me souviens que le thème de l’homélie du Père Van Eslande était "Jésus autem tacebat" phrase qui revenait de temps à autre au fil du sermon. Après quoi venait l’office des Ténèbres.

Le Vendredi Saint, nous entrions dans la plus grande profondeur de la désolation. Au réfectoire, pas de beurre, pain sec ; à la chapelle les autels avaient été dépouillés de tout ornement, plus de nappe, plus de fleurs, le bois nu, la porte du tabernacle grande ouverte. Dans la matinée, messe des présanctifiés avec ornements noirs, chant de la Passion, comme au dimanche des Rameaux, les grandes oraisons pour l’Église et le monde entier, l’adoration de la croix.

L’après-midi, promenade dans la campagne environnante. A vrai dire, l’atmosphère pesante de la matinée commençait à se lever , le lendemain, c’était les vacances ; dans quelques heures allaient être proclamés les résultats des examens trimestriels. Au retour de la promenade, chemin de croix, suivi de l’Office des Ténèbres. Puis au réfectoire comme à la fin du premier trimestre, assemblée générale pour la proclamation des places et des notes. Enfin, après le repas du soir les rangées d’élèves de seconde et première division défilaient dans le cour et venaient se placer devant le calvaire qui se dressait au fond de la cour de deuxième division. Là, tandis qu’il faisait presque nuit, qu’un léger vent glacial nous faisait frissonner, dans le grand silence environnant, nous chantions avec les choristes toutes les strophes du "Stabat mater

Samedi Saint, 5 h. du matin, les lumières du dortoir sont allumées ; Benedicamus Domino crie le surveillant. Pas de cloche sonnant à toute volée comme d’habitude. Eh non ! depuis le Jeudi Saint les cloches sont muettes et depuis le Jeudi matin tous les exercices sont annoncés ou clos par une crécelle que le sonneur habituel manipule avec une vigueur peu commune et, à voir son visage hilare, non sans plaisir. Toilette du matin rapide, la valise a été bouclée la veille après la récréation de midi ; elle est descendue sous le préau et l’office du Samedi Saint commence, il durera deux bonnes heures. D’abord bénédiction du feu nouveau puis chant de l’Exsultet chanté chaque année par le Père Seynave, qu’il chantait d’ailleurs d’une voix vibrante et convaincue. C’était la première explosion de joie.
Puis l’interminable lecture des prophéties que le célébrant lisait à voix basse. Cette lecture achevée, chant des litanies des saints ; tandis que se succédait le chant alterné des invocations, les voiles étaient enlevés des statues, la grande peinture au dessus du maître-autel réapparaissait, la nappe d’autel était dépliée, les cierges allumés, enfin, les fleurs étaient disposées sur l’autel. Nous voilà au Kyrie pascal, au Gloria qui déclenche la sonnerie des cloches, au court évangile. Pas de credo, pas d’offertoire ; la messe est courte. Enfin, voici le Magnificat et la dernière antienne Vespere autem sabbati... Au réfectoire le "rond" de beurre paraît plus savoureux... ça y est, nous sommes en vacances pour quinze jours.

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