Le 3° trimestre
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RETOUR A DANIEL ALLAERT

Les vacances de Pâques terminées, c’était le retour dans un petit Séminaire qui avait changé d’aspect. Chaque année j’étais toujours agréablement surpris par ces modifications. En quinze jours de temps, les marronniers de la cour s’étaient couverts de feuilles. A la place des grands squelettes sombres, des frondaisons verdoyantes d’un vert très tendre. Par ailleurs les jours étaient plus longs, les garçons plus joufflus et certains avaient légèrement bronzé ; même le père Seynave paraissait moins crispé. A la récréation de I h, changement de jeux ; pour la 
2ème division jeux de drapeaux où les sprinters faisaient valoir leur pointe de vitesse ; en I ère division jeu de volley.

jeux_1930.jpg (41250 octets)Modification aussi pour la journée du mercredi après-midi. A deux heures, au lieu de partir pour la promenade traditionnelle, nous nous rendions en étude pour un devoir d’une heure suivi de la séance de lecture obligatoire. Après quoi et ensuite jusque 7 h nous nous rendions dans une pâture, propriété du petit Séminaire. Le motif de ce changement était évident malgré les incitations fréquentes pour une vie austère, ascétique et rude, le législateur n’avait pas voulu que durant 12 ou 13 km, nous affrontions le soleil brûlant de l’été. Bref, le 3ème trimestre nous apparaissait sous d’agréables auspices, d’autant plus qu’il y avait à la clef la perspective des grandes vacances. Ne croyez pas pour autant que pendant l’été, nous menions une vie de relâchement dans le travail le 3ème trimestre scolaire est parfois décisif pour le résultat de l’année scolaire et nos professeurs étaient là pour nous le rappeler.


Le mois de mai consacré à la Vierge Marie nous voyait tous les soirs à la chapelle après la longue étude de devoirs. Avant la récitation du chapelet (l’autel de la Vierge abondamment fleuri) Mr De Bock, du haut de la chaire, nous lisait quelques pages d’un ouvrage spécialement écrit pour le mois de Marie. En outre, à la fin du mois de mai, nous nous rendions en pèlerinage (oh ! nous n’allions pas très loin) tout simplement à l’église Notre Dame de Lourdes, église d’une des paroisses d’Hazebrouck.
Ce jour là, après la prière du matin récitée comme d’habitude. en rangs de promenade nous allions chanter une messe dans cette église.

Mai, c’était aussi le mois de la procession des Rogations. tous les matins durant les trois jours qui précèdent l’Ascension: A St François cette procession se faisait dans les jardins, vastes à cette époque. Pour nous, petits séminaristes, outre le charme d’une promenade matinale dans les allées de ce jardin en pleine végétation printanière, il y avait l’attrait de l’inconnu, car aucun d’entre nous n’était autorisé à y mettre les pieds en temps ordinaire. C’était d’ailleurs une loi générale pour toute heure du jour ou de la nuit, vous ne pouviez être que là où se trouvait la communauté à la chapelle, en classe, au réfectoire, dans votre cour de récréation, à moins que de posséder un billet d’autorisation, un laissez-passer, un "ausweiss" Lentement la procession quittait la chapelle, passait par le cloître, la porte du jardin, un couloir, et nous étions dans les jardins, chantant les litanies majeures et mineures ; les invocations étaient doublées, par conséquent aucune inquiétude, le chemin pouvait être long, nous avions des provisions. 300 voix jeunes, fortes, habituées à chanter ensemble, c’est assez impressionnant. Dans les jardins, tout au moins au commencement, les invocations ont l’air maigrelettes mais peu à peu le volume s’affirme. Au milieu des parcs de carottes, poireaux, salades, s’égrainent les invocations : tout le paradis défile Sancte Gregori, ora pro nobis... Sancta Maria Magdalena, ora pro nobis... Puis viennent toutes les supplications pour nous délivrer des maux qui nous guettent.

" Ah insidiis diaboli libera nos, Domine "
" A peste, fame et hello libera nos Domine "

Pour finir, en des strophes merveilleusement agencées et cadencées que seule la langue latine peut exprimer avec plénitude et gravité, les demandes pour le bien de l’Église, pour les chefs d’État, pour le peuple chrétien
"Ut regibus et principibus christianis / pacem et veram concordiam donare digneris, te rogamus audi nos

La procession touchait à sa fin, les premiers rangs avaient réintégré le cloître, le chant des litanies dans les jardins se perdait dans les airs, mais dans le cloître, les chants des strophes étaient tonitruants, assourdissants ; il fallait que la voix grave et irritée du père Seynave vînt prêcher la modération comme de nos jours un père vient régler la radio que de jeunes écervelés ont poussée à fond. 

Le jeudi de la même semaine : fête de l’Ascension même cérémonial qu’aux jours de grande fate grand tapis, fleurs sur les autels et récitation des petites heures tout au long de la journée.

Pentecôte : 4 jours de vacances du samedi matin au mardi soir. Nous étions dans le dernier tronçon de l’année scolaire plus ou moins long selon l’échéance de la date de Pâques ; période faste parce que jalonnée de manifestations diverses.


D’abord les processions ; procession du St Sacrement et une semaine plus tard, celle du Sacré Cœur. Nous participions aux processions de l’une ou l’autre paroisse de la ville, en général à celle de St Éloi, paroisse la plus importante. Dans notre époque paganisée, personne ne peut se faire une idée du débordement de décorations dans les rues parcourues par ces processions et de la ferveur populaire d’alors ; voudrait-on ressusciter ces cérémonies, elles ne seraient que des mascarades. Au 1er étage des maisons, aux fenêtres, des tapisseries, des bannières, des drapeaux. Le pavé des rues était jonché de roseaux fraîchement coupés ; des centaines de guirlandes, allant d’un côté de la rue à l’autre, formaient une voûte multicolore.


Nous, les petits séminaristes, nous étions incorporés dans la procession, derrière la musique de la ville. Je ne saurais dire de quels groupes était composée toute cette procession ; nous étions noyés dans cette niasse, niais comme c’était la coutume alors, nous avions des groupes figuratifs représentant des scènes de l’ancien testament ou de la vie du Christ, notamment sa Passion. 
Au cours de cette procession, nous chantions des cantiques. Nos voix dans la rue paraissaient bien frêles, Il me revient en mémoire quelques cantiques qui, chaque année, figuraient au programme.

"Chantons le Dieu caché dans l’auguste mystère donnant son corps, son sang pour nourrir notre terre..." ou encore "Louez tous le Seigneur, vous qui peuplez la terre..."

Je me souviens aussi qu’au cours des récréations, après ces processions, certains d’entre nous se moquaient discrètement de ces strophes un peu fades et inadaptées à notre âge... déjà la contestation légère pointait. 
De toute façon, nos cantiques étaient impérativement interrompus quand la musique se mettait à jouer. Telles les puissantes phalanges macédoniennes s’ébranlant à l’assaut de l’ennemi, les quarante ou cinquante musiciens à la face rubiconde, bien alignés, tantôt une jambe, tantôt l’autre tombant lourdement en cadence sur le pavé au rythme de leur fanfare, soufflaient dans leur instrument à pleins poumons, les joues puissamment gonflées.

Dans ce fracas tonitruant, inutile de continuer de chanter; nous n' entendions même plus notre propre voix. Le cortège débouchait sur la grand’place dont nous faisions le tour pour nous arrêter enfin devant l’hôtel de ville ou à côté, je ne sais plus, là où était dressé un immense reposoir magnifiquement orné et fleuri après quelques cantiques, acclamations, c’était la bénédiction solennelle et la procession regagnait l’église St Éloi. Le dimanche suivant voyait défiler la procession du Sacré-Coeur, mais elle se faisait l’après-midi.

En ce qui concerne le travail scolaire, nous avions toujours le mercredi matin la composition hebdomadaire dont les résultats étaient proclamés le dimanche suivant ou une semaine plus tard. Mais nouveauté au cours de ces proclamations, l’attention des élèves était beaucoup plus forte qu’aux deux trimestres précédents ; c’est qu’il y avait des places secrètes. Pourquoi ? Eh bien voilà ! Toute année scolaire, dans tous les collèges et lycées de France d’alors, s’achevait par la distribution solennelle des prix présidée par une personnalité plus ou moins importante suivant le degré de célébrité du collège. 

Pour que nul ne sache s’il va décrocher le 1er prix ou un autre prix dans telle ou telle matière, les premières places n’étaient pas proclamées. Ainsi par exemple pour une classe de trente élèves, où il y avait 3 prix et 4 accessits, Mr le Supérieur ne commençait à nommer qu’à partir du 9ème. A cette proclamation, les bons élèves ne manifestaient pas une crainte excessive

quoique... quoique si l’on entendait nommer en premier lieu un tel et que le malheureux comptait sur un prix, toutes ses chances venaient de s’effondrer. Par contre, certains devenaient de plus en plus anxieux, au fur et à mesure que les places tombaient, se disant : mais voyons, c’est pas possible, enfin venait la dernière place ; ils n’avaient pas entendu leur nom, donc divine surprise, ils étaient dans le groupe de tête. 

En cette fin de trimestre il y avait les examens comme au 1er et au 2ème trimestre. Dans mes premières années de vie à St François, cet examen n’était pas plus important que les autres, mais vers 1935 ou 1936 il devint un examen de passage, comme cela existait depuis longtemps dans tous les autres collèges, première mesure aussi, me semble-t-il, où l’on commençait à considérer les petits séminaristes comme les autres collégiens de France sur le plan scolaire. 

Fin juin, c’était aussi la grande sortie ; on l’appelait la grande promenade, journée exceptionnelle toujours entourée de beaucoup de mystère et de secret. Comme d’habitude, lever à 5 h du matin, prière, courte méditation, messe, petit déjeuner. Pour 7 h 1/2 nous étions dans les cours de récréation, attendant le départ. De l’autre côté des études et du réfectoire, dans la rue, 6 ou 7 autocars attendaient pour nous embarquer. Pour quelle destination ? aucun élève ne le savait. 
Cette journée avait été préparée pour chaque classe par les soins de son professeur principal titulaire qui avait repéré pour sa classe l’itinéraire de la journée, avait contacté une famille pour le repas de midi dans un certain village, mais où ? mystère encore; de quel côté allions nous nous diriger ? nul ne le savait, d’autant plus que pour chaque petit séminariste, tout ce qui se trouvait à 15 ou 20 km d’Hazebrouck, c’était l’inconnu. 

En fait, après plusieurs années de pension, chacun se rendait compte de la direction générale de notre expédition. La file des autocars s’en allait en direction de Saint-Omer. Certaines classes étaient lâchées un peu avant, d’autres plus loin. C’était toujours des endroits boisés, sans doute forêt de Clairmarais, d’Eperlecques ou de Tournehem. J’ai gardé un souvenir assez fidèle de la première de ces promenades. C’était le samedi 24 juin 1933 ; j’étais en classe de 7ème avec le père De Bock. Cette classe était peu nombreuse: 15 élèves sans doute ; on l’appelait aussi la 6 âme préparatoire. Nous étions âgés de 11 ans à quelques mois près. autant dire que nous étions des gosses. Je dois dire que le Père De Bock avait eu à cœur de nous préparer à cette promenade, en nous remettant à chacun un livret de chansons de patronage et - fait tout à fait exceptionnel - avait consacré 3 ou 4 fois, un quart d’heure de classe à répéter des chansons de marche. On avait ainsi chanté en classe "Ne pleure pas Jeannette... le Chameau dans le désert immense... le soldat de l’Yser et d’autres chants sans doute. Une des caractéristiques du père De Bock, en ces années là, c’était que tout devait être fait avec ardeur. Ardeur au travail, à réciter ses leçons, il fallait les savoir sans hésitation, ardeur à répondre aux questions en classe. Eh bien ! ardeur aussi à chanter. Il fallait que notre petite troupe, marchant au pas, s’égosille, chantant à tue-tête 
"Ne pleure pas Jeannette.., et ma foi, il n’y avait pas beaucoup de récalcitrants.

On fit une promenade en barque à fond plat, dans la matinée, sur les canaux (les watergangs) au milieu des champs de choux-fleurs. Midi, repas plantureux dans une ferme avec au dessert de grands quartiers de tarte à la crème à gros bords. L’après-midi, nouvelle expédition. Nous voilà en forêt. Bien sûr, la fatigue se fait sentir, ce n’est plus l’allure vive du matin. Nous débouchons dans une clairière, une route, et comme par miracle notre autocar est là, qui nous attend. Ainsi les unes après les autres, toutes les classes furent recueillies ; finalement tous les bus se retrouvèrent devant la cathédrale de Saint-Omer. Visite rapide de la cathédrale et retour à Hazebrouck pour 7 h 1/2 - 8 heures.

De ces grandes promenades, j’ai encore en souvenir celle qui se termina par la visite de la maison natale de St Benoît Labre à Amette, près de Lil!ers et aussi d’une autre, d’un genre tout différent c’était en 1937 ou 38 où par le train, tout le petit Séminaire alla passer la journée à Bruges visitant églises, musées et se promenant sur les canaux par une chaude journée d’été.

Le dernier dimanche de juin ou le premier dimanche de juillet était aussi une journée de grande fête. Ce jour, nous l’appelions la fête des maîtres. Ce matin là, nos professeurs avaient revêtu leur plus belle soutane ; dans chaque classe, l’élève le mieux placé au classement général avait préparé, avec l’aide sans doute d’un professeur complice, un discours. Entrés en classe pour le cours d’Instruction Religieuse du dimanche, les élèves, la prière dite, éclataient en applaudissements nourris. L’élève porte-parole de ses camarades s’avançait au milieu de la classe et les mains gantées, tenant la grande feuille de papier blanc qu’il avait lue et relue, d’une voix un peu émue commençait

Cher professeur, la fin de l’année scolaire nous amène traditionnellement et c’était le passage en revue de l’ensemble de l’année scolaire, les excuses pour les manques d’attention et de travail, l’assurance que chacun gardera de cette année un souvenir durable et empreint de beaucoup de reconnaissance. En terminant, au nom de la classe, il remettait au cher professeur un cadeau (en général un livre) qu’un autre professeur complice avait choisi et acheté. A son tour, notre maître à la fois réjoui et quelque peu ému malgré habitude, exprimait ses remerciements, revenait sur tel ou tel événement de l’année, en tirait des leçons, laissait échapper quelques mots à propos des vacances toute proches, nous indiquait la meilleure façon de les utiliser et pour finir faisait une distribution générale de bonbons dans le brouhaha des conversations déclenchées et des interpellations parfois bruyantes. La cloche mettait fin à cette classe exceptionnelle et alors commençait la deuxième partie de la journée, c’est-à-dire la grand-messe du dimanche.

Là encore nous étions dans l’exceptionnel, car le célébrant (ou les célébrants) n’était pas l’un de nos professeurs ni même Mr le Supérieur mais un ancien élève ou des anciens élèves ordonnés prêtres quelques jours auparavant.

La cérémonie commençait par un cortège triomphal nos professeurs, des anciens élèves, des curés retraités, des chanoines et fermant la marche, les nouveaux prêtres en chasuble. Le cortège, parti de la sacristie, passait par le cloître et enfin faisait son entrée dans la chapelle illuminée, ornée et fleurie pour la circonstance, accompagné par l’orgue qui donnait de toute sa puissance.

Midi repas au réfectoire devenu trop petit par rapport au nombre des convives. Les tables avaient été resserrées ; une rangée supplémentaire avait été mise en place où se trouvaient tous les jeunes anciens d’Hazebrouck grands séminaristes à Merville ou à Lille et qui étaient fiers de se montrer en soutane à leurs anciens condisciples. Dernier souvenir de la journée je me souviens qu’au dessert, eux avaient droit aux cerises fraîchement cueillies dans le jardin, dans ce jardin que nous avions parcouru au temps des Rogations.

Les Annales du petit Séminaire relatent une de ces journées mémorables, celle du 9 juillet 1929 où 36 nouveaux prêtres, tous sortis du petit Séminaire St François, célébraient leur messe de prémices tandis que le Chanoine Lagatie, âgé de 94 ans, ancien professeur, remerciait Dieu de ses 70 ans de sacerdoce.

Cette fête des maîtres extraordinaire, qui voyait aussi l’inauguration du nouveau cloître, était présidée par Mgr Liénart, alors jeune évêque de Lille, accompagné de Mgr Jansoone et du vicaire général Delannoy, ancien supérieur de l’établissement. Ce fut une procession imposante que ces 36 nouveaux prêtres accompagnés de leur prêtre assistant, et aussi le jubilaire, tous revêtus de la chasuble gothique en soie blanche, suivis des dignitaires précédemment nommés. On voulut, tant que faire se pouvait, y associer la ville d’Hazebrouck. Le cortège se déroula dans la rue Warein de l’une à l’autre porte sur des jonchées de roseaux et de fleurs, entre drapeaux et oriflammes.

Au cours des nombreux toasts qui furent prononcés pendant le banquet qui suivit ces festivités, Mgr Liénart se déclarait fier et heureux d’avoir ordonné le dimanche précédent 51 prêtres. Je pense que ce fut là un record sans précédent. il est vrai que l’œuvre entreprise par Mr le Chanoine Dehaene portait ses fruits. Déjà de 1848 à 1913, le nombre d’ordinations dans le Nord avait triplé.

Au sujet des vocations sacerdotales, pour en revenir à mes souvenirs personnels, je me souviens qu’en 1935, à la veille des petites vacances du deuxième trimestre, Mgr Delannoy, alors vicaire général, vint en salle d’étude pour nous demander de poser la question suivante à notre curé lors de la visite obligatoire que nous lui ferions dans quelques jours. Souhaitait-il avoir l’assistance d’un vicaire ? De toute évidence, notre vicaire général avait de jeunes prêtres à sa disposition pour cette tâche.

Par ailleurs vers la mi-septembre de chaque année, le journal local publiait la liste des nominations ecclésiastiques dans le diocèse. Bon nombre de nouveaux prêtres étaient affectés dans l’un ou l’autre collège, quelques uns étaient nommés vicaires, alors que beaucoup d’entre eux en avaient formulé la demande. Professeur pendant trente ans, j’eus autour de moi un corps professoral uniquement ecclésiastique, tout au moins au début. Les confidences que j’ai recueillies à ce sujet, vont dans ce sens la plupart des jeunes attendaient un poste de vicaire. Ainsi en fut-il de mon collègue et ami l’abbé J. Liber. Après son ordination en 1937, il avait demandé un poste de vicaire. Mon cher ami, lui fut-il répondu, nous n’avons rien pour l’instant, vous irez au collège St Jude à Armentières, mais nous ne vous oublions pas, cela se fera dès que possible. Vint la guerre. Cinq ans de captivité. A son retour, "pour l’instant vous restez à St Jude", fut la réponse de l’autorité diocésaine. Ce ne fut qu’en 1956 qu’il fut nommé vicaire à Tourcoing. Il est vrai qu’à cette date, la crise des vocations ne faisait que commencer ; depuis, elle n’a fait que s’accélérer.

Revenons à notre 3ème trimestre de l’année scolaire. Dans les premiers jours du mois de juillet arrivait le grand jour, celui de la distribution des prix.

La veille, au début de l’après-midi, on peut dire que l’on faisait les malles. Cette malle que l’on avait vidée un premier jour d’octobre, que l’on était allé ranger là-bas tout en haut au grenier et que depuis neuf mois on n’avait pas revue, voilà, on la descendait allégrement.

L’après-midi, petite promenade et jeux dans la pâture de la route d’Hondeghem et le soir, après le repas, rassemblement dans la cour de 1ère division de tous les élèves et des professeurs devant la statue de la Vierge toute illuminée. On était dans les premiers jours de juillet, en général le temps était beau, le soleil était couché, mais ce n’était pas encore l’obscurité.

Alors, dans le silence total de ce dernier soir, la chorale, sous la direction du Père Legrand, entonnait ce cantique qui m’est resté dans la mémoire aussi bien les paroles que la musique et qui m’a toujours un peu ému par la confiance et la tendresse qu’il exprimait envers Marie notre mère et dont voici le refrain
En vous quittant, Vierge Marie, nous implorons votre secours, sur vos enfants, Vierge bénie, veillez toujours, veillez toujours.

Le lendemain vers dix heures, c’était la distribution solennelle des prix qui se faisait, comme pour les représentations théâtrales de l’année, dans la salle des fêtes du collège St Jacques. Sur la scène, des fauteuils et des chaises pour les professeurs et les personnalités invitées. Cette cérémonie, en effet, était toujours sous la présidence d’un dignitaire. Nous eûmes une année Mgr Chiroutter, le colonel Vandamme, ancien élève du temps où le Séminaire n’était encore que collège et aussi une année notre évêque: Son Eminence le Cardinal Liénart. Dans la salle les élèves et au fond les parents. On me dira que cette cérémonie ne devait intéresser que très peu d’élèves, tout le monde n’est pas premier. Sans doute, mais détrompez-vous ; dans chaque classe, dans chaque matière, , il y avait 3 prix et 6 ou 7 accessits, ce qui intéressait donc un tiers des élèves, et même ceux qui étaient parmi les derniers, caressaient quand même l’espoir d’une nomination ; il est rare d’être nul partout ; les prix de devoirs de vacances, de gymnastique, de chant, de bonne conduite permettaient à certains d’éviter la déroute complète.

Pas beaucoup de tohu-bohu, de chahut ; non, ça n’existait pas ; nous étions des petits séminaristes formés par une gymnastique de tous les jours pendant une année, pendant des années, nous étions exercés à nous discipliner nous-mêmes, à nous contrôler, à nous maîtriser et ce n’est pas la tentation du dernier jour qui nous aurait fait succomber.

Évidemment, pendant l’attente de l’arrivée des personnalités, les langues vont bon train, le ton monte peu à peu, mais voilà, du fond de la salle, s’avancent les silhouettes des professeurs, celle de Mr le Supérieur en compagnie de la célébrité du jour ; un signal, les applaudissements crépitent et c’est le silence.

Les personnalités ont pris place, se sont assises et notre cher Supérieur, car il était vénéré de tous, prenait la parole qu’il maniait facilement. Son discours évoquait la fin de l’année scolaire, soulignait les qualités de celui qui présidait la distribution, glissait fort à propos, ici ou là des citations de poètes latins ou grecs. Venait ensuite le discours du président de l’assemblée et enfin la lecture du palmarès, faite habituellement par le Père Dupont.

Cette lecture se faisait classe par classe. Les élèves qui avaient décroché au moins un prix ou 4 accessits étaient invités, après la lecture du palmarès de leur classe, à s’avancer pour recevoir un ou deux livres ; les 3 ou 4 meilleurs élèves étaient priés de monter sur la scène et recevaient leurs prix du président ou de l’une ou l’autre personnalité. La lecture du palmarès s achevait pas l’annonce de la date de l’examen de passage pour les nouveaux et de la date de la prochaine rentrée scolaire.

Ensuite c’était la grande dislocation. Il me vient à l’esprit une comparaison. Notre classe, en ce dernier jour, ressemblait à un groupe de touristes qui ayant pris l’avion, ont voyagé ensemble pendant 3 ou 4 semaines ; finalement tout le monde a fait connaissance, mais vient le dernier jour, l’avion atterrit, chacun récupère ses bagages, rapidement on se salue et on se quitte, pressé de revoir la famille qui, là-bas, de l’autre côté des barrières, vous fait des grands signes et que l’on est pressé de revoir.

J’ai, dans les pages précédentes, cité le nom de Son Éminence le Cardinal Liénart, parmi les personnalités ayant présidé une année ou l’autre la distribution des prix. Au cours des huit années que j’ai passées à St François. Son Éminence nous fit l’honneur de deux ou trois visites. Le Cardinal arrivait au petit Séminaire en fin d’après-midi, présidait le repas du soir dans notre réfectoire et le lendemain matin célébrait la messe avec une relative solennité.

Au repas de la veille, benedicite récité par son Éminence, allocution de bienvenue par notre supérieur Mr le Chanoine Allaert suivie de celle de son Éminence. Il me serait bien difficile d’en faire un reportage ; situé dans la deuxième partie du réfectoire, des bribes du discours me parvenaient. Il nous disait sa joie d’être parmi nous, au milieu de la moisson en herbe qui, jour après jour, grandissait. Son Éminence parlait avec une extraordinaire facilité, très paternel et souriant.
Ces quelques visites du Cardinal qui se situent aux alentours de 1935 me donnent l’occasion d’évoquer son souvenir.

Nommé évêque de Lille en 1928 (l’année même du décès de l’Abbé Lemire) notre évêque semble tourner le dos aux vieilles querelles du passé ou plutôt de les envisager différemment. Dès les premières années de son épiscopat, il est confronté tout de suite au grave problème ouvrier avec les grèves qui éclatèrent dans la région de Lille-Roubaix-Tourcoing et il fit savoir qu’il serait le premier à participer à la souscription lancée pour aider les grévistes. Le patronat de la région s’insurge et intervient à Rome contre cet évêque rouge. Réponse de Pie Xl: puisque vous avez un évêque rouge, il aura le chapeau. 
Ainsi à 46 ans, Mgr Liénart devint Cardinal. Plus tard la question des prêtres ouvriers sera sa préoccupation ; il s’occupera de la Mission de France et l’on sait le rôle de novateur qu’il joua dès l’ouverture du concile Vatican Il.

Un long chemin a été parcouru depuis le début du siècle et nous sommes déjà loin des problèmes rencontrés autrefois par l’Abbé Lemire auprès des évêques de Cambrai, puis du diocèse de Lille.

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